Remue- ménage (2ème partie)

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Les pommettes hautes qui redressent les joues, en font saillir les lèvres à la gourmande proue ; les hautes pommettes qui approfondissent le mystère des yeux taillés en amandes, dont le regard même semble comme faire palpiter les ailes que seraient les joues-effleurant le nez toujours plus frémissant que feuilles au vent. Ses joues maladroitement maquillées de rouge pour masquer la blancheur de la faim. Amaigries jusqu'aux pommettes pleine, étirant ces lèvres si étrangement pulpeuses qu'on les croirait toujours tuméfiées : une bouche qui donne immédiatement envie de la dévorer. Les dents luisantes comme les clins d'oeil. Avec pourtant ses regards brillant sauvagement de désespoir ou d'amour : le désir de la protéger en la consolant doucement pouvait aussi bien empoigner son long cou dégageant les bandeaux de ses blonds cheveux, ou dévoilant lumineusement les miniatures de ses oreilles, se posait sur sa silhouette incompréhensiblement  à la fois fine et épaisse. Sa silhouette éternellement en mouvement qui fendait  actuellement la pénible rue montant du port de Khimki. Pour son amour aveugle, elle tanguait sans cesse  dans tous le Moscou auquel elle pouvait accéder comme sur une mer démontée.

Surgissant de son ex République Socialiste Autonome des Maris, des vrais Maris, ou tchérémisses, son enfance avait tout été bercée ou rêvée par la Volga. Puis elle avait suivi à l'adolescence, selon les droits ou opportunités de déplacements, l'adoré cours de la Volga (le seul qu'elle ait jamais pu suivre, son esprit n'étant guère à ce genre d'études !) jusqu'à Iaroslavl, la cité aux églises à cinq coupoles, désirant s'essayer au textile s ou à la chimie. Elle n'y avait rencontré que Ramuncho Hékomy Roubliou et l'avait suivi jusqu'à Moscou. Pour trouver quelque meilleur travail disait-il, les Trois Collines pour le textile ou le Mossoviet, ou ENCORE... Quand c'était toujours elle qui courrait après toutes les difficultés de la vie pour qu'il n'en soit jamais rattrapé, et n'en souffre d'aucune conséquence. Tissant ainsi, de sa tragique souriance, le tiède cocon qui pourrait le garder pour elle seule. Son rêve !

 

Aujourd'hui elle remontait du port de Moscou, Khimki, où elle avait rôdé des heures pour lui trouver quelques de ces surprises qui ne le surprenaient plus, tant Roubliou était habitué à la magie qu'elle semait pour lui. Ignorant semble-t-il toujours plus l'impitoyable dureté de la recherche des victuailles, vêtements, alcools, fêtes, livres rares, musiques, dont il faisait sa pâture. Elle se privait de tout, sauf des queues pour lui. Bien loin le temps de ses atours brodés comme la danse, où les couleurs en farandoles sur le blanc éclatant sont comme fleurs fraîchissantes d'amour ; bien loin le temps des bottes cuivrées de cuir. Partout elle se démenait dans son flasque manteau de peluche, ses bas trop lâches et trop épais ou ses jambes nues dans de pâles godasses, dans sa robe toujours plus chiffonnée ou son fichu fané d'Orenbourg serré sur la tête ou avachi sur la nuque. Rien ne la différenciait des limittchiki ou des babouckas à marmaille qui toute la journée trottent pour rassasier la tribu. Rien ! Sinon la royauté fulgurante que lui conférait parfois son amour démesuré.

 

Au, saut du métro 6, grimpant encore à la lueur de ses membres épuisés la rue de la Krasnaïa resnaïa, à la somptueuse fresque il est dit "l'exploitation des ouvriers de Presnaïa", elle se souvenait de sa dernière grande terreur, pour l'obtention de son enregistrement de résidence qui ne devait pas comporter le "moins 6" (c'est à dire moins 6 villes, dont Moscou, là où elle crevait d'aller puisque Ramuntcho y allait !). Et qu'il avait obtenu lui sa propiska (paragraphe 5) - ce droit de résidence apposé sur le passeport intérieur - alors elle ne voulait pas subir le sort des limittchiki - leur "limite" c'est l'attente infinie aux portes de Moscou, dans les "microrayons", les vastes banlieues, de la propiska justement -. Heureusement son carnet de travail avait toujours été en règle, et le chef de district n'avait pas abattu son cachet violet sur le passeport. C'est que quand même pour acheter un billet de train ou aller à la bibliothèque il peut être exigé la présentation du passeport, et si Moscou était soumise au "régime spécial", avec ce cachet sur son passeport, dés les premiers jours, elle aurait pu trouver le chemin de la taule. Nova Tamara Xapaktepa tu vas être privée, sans doute pour toujours de Ramuntcho, entendait-elle avec horreur. C'est que du haut de ses trente ans, elle y tenait plus que la vie, Nova. Cette merveilleuse lumière si neuve et ancienne ! 

Comme celle de Moscou qu'elle aimait puisque Ramu n'y semblait pas trop malheureux et qu'il l'acceptait près de lui. Oui Nova aimait malgré tout Moscou ; elle seule y avait su voir cette polychromie d'automne russe éternel, mariant le vert rouge jaune gris dans leurs tonalités les plus savoureuses. Ce vert mat des toits et des parcs ou ce rouge vieille brique des remparts de Kitaïgorod avec les vingt tours rouges et vertes qui se détachent du gris des pierres et du ciel, en même temps que l'ocre jaune des palais et maisons ou le rose sable du Terem et des façades. Vraiment pour Nova, Moscou est le triomphe des couleurs automnales. Bien plus que ce poème réprobateur de Blaise Cendrars si tant est que Moscou "était comme l'immense gâteau tartare croustillé d'or avec les grandes amandes des cathédrales toutes blanches et l'or mielleux des cloches".

 

Cet écœurement de pâtes d'amandes tendres et pastellisées, éparpillées au milieu des meringues contournées et glacées, insinuait plutôt que ses seules cathédrales puissent donner à Moscou cet air de bonbonnière méticuleuse avec ses bulbes serrés ou ce hérissement de tours à croquer : un vrai souk à la Ali Baba ! Ce côté dégustation ne convenait pas du tout à Nova. Elle voyait plutôt dans ces tours, en forme de bulbes d'oignons ou de tulipes il est vrai, d'orgueilleuses vrilles dans le ciel. Clamant de leurs hautes croix haubannées la touche de vergues, dans cette magie de mâts auxquels on voudrait gréer les bonnes voiles. Les phares que seraient ces hautes croix rutilantes de leurs étoiles de rubis ! Même les curieux créneaux savent mieux mordre le ciel !  Un hymne ouvragé à l'amour russe et qui, comme lui, reste dissimulé aux yeux de tous comme ces prodiges de Basile le bienheureux (puisqu'il permit toutes les basiliques de par le monde) qui sont là à la vue athée de la société soviétique et cependant dissimulés, invisibles, moulés en d'autres apparences, sinon comment auraient-ils pu supporter ce colossal et joyeux déni de leurs paroles semblantes ? Bien sûr ils avaient alignés, près de cette pulsion érotique des tours des basiliques, les flèches prétentieuses des gratte-ciel, grands hôtels, universités, immeubles en troïka que copia feu Ceaucescu mais sans perestroïka ! Pourtant le bariolage total et de bon goût de toutes les églises rescapées de la cité au 40 fois 40 églises, continue à jurer (quoi ?) dans la "ville aux immeubles rouges" et à la vie si grise ! C'est que Moscou, comme l'URSS, toujours se garde et change en étalant ses paradoxes : "Le monde des enfants " Dietski Mir se trouve à deux pas de la prison de la feue Loubianka Place Dzerjinski, KGB ou "le monde des adultes" ? Où la Kropotkinskaïa naberejnaïa, la piscine Moskva, bâtie sur le magnifique Temple du Christ Saint Sauveur prouvant que Rimbaud avait raison, on voit bien un temple au fond du lac. Ou encore ce Kremlin à rouge enceinte, le coupant du peuple, et portant, en toute inconscience, sa tour du Sauveur qui en est un autre ! Ou ce Moscou moderne de l'avenue Kalinine surnomme "le dentier" parce qu'il n'arrive pas à mordre sur les traditions de l'Arbat et donc s'intitule Nouvelle Arbat ou Broval (Broadway) ? OU encore ?  Ou encore le plan de Moscou tout simplement construit en cercles concentriques avec le Kremlin, cette structure radiocirculaire élargie par le percement et l'élargissement de rues radiales : ce qui donnerait le dessin schématisé d'une tête de profil qui regarderait vers l'ouest. L'emplacement du Kremlin alors ? celui de l'oreille tout simplement ! C'est donc la ville qui tourne. Autrefois limitée par ses portes trouant les ceintures de ses triples remparts, elle les a détruites pour tous ces prospekt, qui, pour percer l'avenue Koutouzov on fit raser la porte Dorogomilovskaïa, ou pour un crématorium la porte Saint Daniel, rasant les sorbiers-aux-oiseaux ou les bouleaux, églises ou monastères pour planter de hideux immeubles tous pareils. C'est que depuis que Moscou n'a plus de portes il est difficile d'y entrer ! C'est que depuis que les trois anciennes ceintures, du centre à la périphérie, le Kitaï gorod, le ceinture des boulevards, remplaçant le Bely gorod, la ceinture des jardins, ex-Zemlianoï gorod ont été percées il est plus difficile de s'en sortir ! Mais quoi le dessin de la structure interne est un cerveau et lorsque l'on sait les problèmes qu'un cerveau peut créer à une femme (Moskva en russe est féminin) l'on peut ressentir le chaos des pensées de Nova.

Patientant longuement, non loin des bains Rjevski, un des trente marchés noirs du logement, Nova avait réussi à dégotter un "appartement", c'est à dire une ancienne pièce coupée d'une mince cloison pour inventer deux minuscules réduits (la "norme sanitaire" c'est à dire 9m2 par personne ayant été plus que respectée) en "loyer libre" - soit : cinq fois plus que les "loyers d'état" - pour ne pas se momifier dans les listes d'attente inattendues. Le mouchoir de poche qu'était leur "appartement" n'avait qu'une seule pièce.

 

De la Place Vieille, à l'est du Kremlin, conservant quelques ruine de la muraille du Kitaï gorod, et en descendant vers la Moscova, il suffit de traverser le rue Razine, en évitant l'hôtel Rossaï, et, à travers ce qui reste du Zariadé, trouver quelque escalier jusqu'à l'étroite Solianka (rue aux salaisons) toute en zigzags. Au surplomb où la Moscova toute habillée de pierres rejoint la Iaouza, au numéro 42, c'est là que court Nova. Les amis de Ramuntcho sont nichés un peu plus au nord, pas loin de l'ancien marché de la Soukharevka, aux abords de la Prokrovka aux 3 églises, plus près encore de la ruelle Barychevski, exactement dans la ruelle Kolpàtchny donnant sur la bruyante rue Tchernychevski - sinon dans le Zamoskvoretchié, ex quartier des marchands si bien décrit par Ostrovski, rue Ordynka, que dévala la Horde d'or des Tatars de la Volga, se perche le reste des amitiés sûres de Ramu que, bien sûr, Nova avait du parfaitement adopter. Si tant est qu'en URSS la seule chose qu'on puisse vraiment choisir c'est ses amis. Ses alliés, ses partisans, ses sœurs ou frères de cœur, à qui est demandé ou offert un engagement personnel que l'occidental n'accorde jamais, même à de rares personnes, au cours de sa vie ! 

 

Dés qu'un ami, de sa boîte comme un diable, apparaissait dans le logis qu'elle tenait toujours à bout de bras et qu'elle seule sentait trembler jusqu'à ses moindres membrures, bon pour le service, l'ami en question qu'elle avait orné d'un surnom qui donnerait à peu près "Basile l'Asile" se faisait accepter, incorporer dans la sacralisation de son maigre réduit.

Puis-je avoir un tchifir, grajdanotchka ? la question illuminait la pièce car toutes les possibilités que Nova avait s'y déployaient. Elle les ramassa d'un regard flamboyant magnifiquement, mais pas de colère. Elle flamboyait de tout ce qui matériellement est désir. Boiserie, chaise, pauvre eau diluée de thé très fort - le désir chez Nova veut tout, culbutant sur un angle poli, de cette chaude lumière faisant de toute lumière pâlie, une musique, transformant tout en plénitude des sens ; et ses gestes de servante servaient à dévoiler que chacun sert vraiment à quelque chose. Contre son eau théifiée tu pouvais avaler un diamant de liquide noirâtre tes tripes charbonneuses moulant depuis quelques milliards d'années, comme la fin du monde, l'avenir solaire de tout ce que Nova Tamara espérait, même en silence, même sans te regarder (toujours si fièrement, que son Ramuntcho !). Par sa seule "volia" (volonté+liberté) elle inventait ta volition.

C'est que le rouble a crée le roublard, et en roublarde il l'avait transformée. Nova Tamara connaissait tout de la précarité permanente qu'on appelle "mode de vie soviétique" (le différenciant jusqu'à l'instabilité de tous les autres !) ; elle t'abrégeait tout.

- Vivre aujourd'hui un présent qui déchante et non espérer un lendemain qui chante.

- Vivre pour sa petite maison et non grimper à l'échelle de l'univers juste pour vivre, dans sa tête, chez les autres.

- Vivre pour soi même est encore le meilleur moyen de pouvoir tout donner aux autres.

- Si tu deviens toi même toute la société tu ne poseras plus jamais aucun problème et la société ne sera plus enfin qu'une immense solution.

- Il faut dépasser toute idée pour avoir les bonnes.

- C'est plus douloureux de se changer soi même mais c'est plus contagieux.

- Tout système est tellement automatique que n'importe qui peut être grain de sable.

En ces quelques phrases, elle disqualifiait, sans faire la moindre allusion politique, tout le système dupliquant.

 

Nova avait depuis longtemps saisi que "survivre" en URSS est toujours lié d'une façon ou d'une autre à la transgression des lois. Mais pas comme ces trop faciles vols à la production ou ces productions parallèles, pas comme ces vols à la distribution ou ces spéculations avant la mise en vente retardée, le tout assaisonné du graissage de la corruption "le vziatka" (la prise !), pas comme ces lancinants achats et ventes de pistons "le blat" ou au mieux le travail "na levo" ou le "marché noir" (juste retour de l'anarchie des princes sur le pouvoir rouge !).Non pour Nova "la roublarde", en dialectique réponse au rouble, la "combine" (loin de leurs combinats!) est la combinaison secrète toujours qui ouvre le coffre cadenassé de la vie individuelle. Puisqu'elle révèle le seul système au monde qui ne soit pas devant mais derrière soi : il a toujours été "dépassé" et même qui ne fait pas exprès a toujours été en avance ! Il ne faut donc pas vivre "pour soi" mais pour l'état "en soi". Rien ne doit être "déclaré" car le déclarer cela risque d'éclairer un peu trop la pauvre mécanique hégélienne de cet Etat "sans fait". Quand tout à ce point se brouille ça créé la débrouille, c'est à dire contourner, à soi seul, tous les nombreux obstacles placés par l'Etat en les intégrant, en les comprenant, en trouvant toujours la solution qui dépasse de loin le problème, qui l'englobe comme un petit alinéa. Et ainsi gaiement se trouver, faute de concurrence, bien plus intelligent, clair-voyant que les dits dirigeants. La vrai réalité c'est qu'on vive hors de tout système ; la miraculeuse outre-idée c'est que l'existence palpable d'un autre a été forcée d'invention par tous les débrouillards qui sortent des brouillards, le rouble a obligé à être roublard, le russe à être rusé, la rancœur de la bile à être habile ; et, depuis que Basile l'Asile lui avait expliqué que l'étymologie de Roubliou (tiens le roublard !), le nom de son Ramuntcho, venait de "feu", Nova avait compris que jamais le feu de l'âme russe ne pourrait s'éteindre. Et même si elle est, pour le moment toute engluée à inventer des géniales machinations destinées à tromper la société, l'extra idée toujours en pointe, l'ingéniosité qui combine, c'est à dire mélange tous les extrêmes - c'est qu'elle pendrait une colossale avance sur l'occident  qui dépense si fort, et dans tous les sens du terme ! Endurci au feu de l'idée qui ne peut se permettre que de s'affronter à plus mesquine réalité, non seulement l'idée atteint ses propres sommets mais l'expérience de la réalité touche aux vraies profondeurs. Bien loin de ces occidentaux qui parlent du déjà prémâché, du prêt à penser, qui ignore tant la pénurie qu'ils n'aiment pus les livres, la communication, l'intelligence ainsi que la roublardise d'ailleurs. Or la seule roublardise a permis à la société soviétique de survivre car, comme il n'y avait évidemment pas d'économie elle a créé le circuit parallèle de la vie. Et a su enflammer les cœurs sans qu'ils s'en perçoivent, si gais d'avoir su faire bien mieux que les insurmontables difficultés : tu étais condamné à l'inertie, si tu bouges tu commets immanquablement un délit, ils ont quand même trouvé la démarche délicate qui permet tout. La roublardise ne peut exister que parce que le quotidien a dévoré tout l'écran, qu'il est devenu la valeur suprême qui exige de chacun la mise en œuvre de tous ses moyens, et avec comme garantie morale que la seule que puisse donner sa propre conscience. La vie quotidienne est définitivement passée au premier plan, l'existence même en dé pendait. Elle semble étouffer, envahir toute la conscience en se projetant au premier plan de l'être. Tout pas, tout déplacement, tout effort musculaire, tout acte, pensée est tourné vers la recherche du concret, manger, se vêtir, se chauffer, se loger - on ne peut se détourner une seconde de ces buts dévorants, tellement le manque matériel (et l'appétit spirituel qui est son double !) semblent définitifs, irrécusables, irréfutables. Et ce fut le règne de l'idée "fixe" harnachée d'efforts toujours plus incroyables si l'on rabaisse que c'était juste pour avoir un objet mesquin, insignifiant. Mais c'était devenu la plus grand entreprise, la plus grande passion que d'avoir ce trésor, cet "idéal" inaccessible : le moindre objet était un objectif, une "valeur"  pour laquelle il faut se battre. Mais ce fut aussi une aventure picaresque, exaltante, car vaincre le sort le plus écrasant rend gai, vous savez. Vraiment se réjouir pour si peu (un saucisson !) c'est que les hommes se sont bien rétrécis de se soumettre à une telle trivialité (de trivium, carrefour, ils ont donc le choix) mais c'est celle de toutes les rivalités ! Puisque nous sommes en présence de ce qui demeure après cette guerre à outrance contre le monde privé de l'homme, sa maison individuelle, son droit à l'isolement, "ses" propriétés, ses entreprises individuelles, son indépendance, un mode de vie tourné vers vivre pour soi et non pour l'état : il lui a été enlevé sa personnalité et son autonomie et le voici livré aujourd'hui à toute l'exaltation de la roublardise. Puisque bien évidemment l'étymologie de roublardise par Rigaud en 1881 est bien "homme à roubles" puis "chevalier d'industrie extorquant des directeurs de jeux une somme qui lui permette de regagner son pays". Si ce n'est exactement cela je vous trouve difficile : bien sûr qu'ils vont "regagner" leur pays ! Car la société soviétique n'est peut-être pas retardataire puisqu'ils ont vécu, vivent encore ce que les occidentaux n'ont même pas commencé à vivre : la pénurie et comment l'humain face à cela ne connaît aucune pénurie ! Evidemment qu'il est facile de relever toutes les mesquineries de la vie quotidienne mais il semble bien impossible de relever qui ne s'en est jamais laissé compter. Car le problème n'est plus le choix idéologique ou politique des "directeurs de jeu" mais que tout la société vive ainsi sans directive, sans soutien moral, sans pensée éclairante, dans cette zone extraterrestre non reconnue de l'URSS : la vie quotidienne ! Car qui veut suivre à la lettre les directives idéales et idéologiques de la pensée des dirigeants, sans s'occuper de sa vie personnelle et matérielle, serait mort en très peu de semaines (de faim, froid, absence de tout !) Le soviétique idéal est un suicidé ! Donc la vraie vie n'étant pas reconnue il faut tout de même des prodiges pour qu'elle persiste : et le moindre quidam réussit comme si de rien était cette prouesse.   Bien peu en occident ne seraient capables que du quart de cela. "Qu'il vive de son salaire !", un sort abominable, personne ne peut l'imaginer ! Alors comment ? Les meilleurs d'ici n'arriveraient pas au talon des plus nuls de là-bas ? Car ce n'est pas une fantasmagorie médiatique, comme au USA, mais bien le fait que des hommes vivent leur vie sans qu'on ne leur en ait donné le droit, qu'ils y arrivent avec leurs airs d'attardés : pourraient-ils être si nettement en avance sur nous ? Un simple indice : toute leur société ne résonne plus que de sentiments (où l'état le plus avancé de la pensée !) Que ça parte de la plus mesquine jalousie à la plus retorse dénonciation, jusqu'aux larmes démesurées à la générosité la plus grandiloquente, cette tendance à une surprenante franchise du doucha-douché (parler cœur à cœur, ou plus littéralement d'âme à âme) qui conduit au pire défaut ? Pas comme en occident la pauvreté, mais bien le "soukhar", sec comme un croûton, sans chaleur humaine - le soukhoi à la pauvreté de cœur (donc d'esprit!) possède donc la pire des infirmités. Comme nous sommes tous un peu  soukhovati à l'ouest ! Trop loin de cette passion de vivre sans arrêt par rapport aux autres , personne ne peut vivre indifférent dans la société soviétique ; c'est méticuleusement scientifique ! La pensée mieux domptée de devoir affronter la plus pure vie quotidienne, la conscience glorifiée de devoir affronter son manque, sa pénurie, le courage qui se lève tous les jours car il vit dans la société la plus métaphysique qui soit (à la totale séparation entre le contingent, l'immanent et le transcendant !) et tout cela pourquoi ? Pour le plus splendide appétit spirituel, culturel qui ce soit jamais vu ! Les occidentaux sont destinés à s'ennuyer pour l'éternité puisqu'il ne leur  manque rien - ils manquent donc tout , absolument tout ce qui a à voir avec l'esprit. Le système soviétique qui fut la greffe d'un bla-bla permit la réalité d'une société vitale qui s'est formée sans que personne n'en soit informé ni déformé, sans que qui que ce soit n'en ait eu la prescience et donc pu l'infléchir. Non elle est née d'elle même sans jamais le savoir sinon quelques fulgurances de joie.  Elle est issue d'un cadre à elle imposé qui s'est figé dans sa toujours même imposition, tandis que la société, avançant, se trouve désormais, dans un cadre "indescriptible", tant il n'est que le fait de toutes les actions individuelles imprévues et uniquement quotidiennes. La société se fait au jour le jour ! C'est bien ça le fond de la roublardise que de faire mieux que (en profondeur pas en surface évidemment) toutes les autres sociétés sans le savoir ! Car Nova semble mieux armée que quiconque pour "vivre" tous les changements sociaux. Ceux que n'avait pas prévu Sophia Vlassovna (plus drôle que les-ceux-qui-peuvent-tout !) Tout esprit réaliste aurait pu comprendre depuis longtemps que les dirigeants soviétiques ne dirigeaient que des concepts vides que des mots masquant ainsi leur vrai société qui est acculée à s'inventer toute seule, uniquement à partir de la pauvreté quotidienne qui plus est. Celle par exemple, où le cerveau n'a aucun moyen artificiel pour parader. Le peu qu'il parvient donc à dire resplendit de vérité. De beauté. De s'être autant autosuggestionné sur l'ignoble péril slave, le mal incarné, obnubilé à faire du mal aux petits occidentaux si généreux d'ailleurs de par le monde, aux idées fixes de vouloir nous créer à son image (tiens et pas nous), dont toutes les membrures de son immoralité tendent à nous rendre aussi immoral que lui, vouloir à priori que la société s'améliore quel scandale ! prouve tout simplement la haine des sentiments car il a toujours été clair que les sociétés slaves sont des sociétés "sentimentales". Et nos medias fantasmatiques au cœur châtré ne peuvent donc percevoir la petitesse de certaines grandeurs ! Cette approche compulsive et hallucinée, ce non usage de l'observation visuelle ou auditive, donc ce refus de la vérité, a pu amener cette gigantesque hypostase sur les slaves. Car tous les esprits réalistes savent que ce n'est pas la pénurie qui menace le plus le monde mais la gaspillage et son pillage, que ce n'est pas la mentalité slave qui est la plus dangereuse mais bien celle américaine qui, en moins d'un siècle, pourra réduire la planète à un sac vide - on aura tout gaspillé sans intelligence ni sentiments. Ces esprits réalistes le savaient et ils n'ont rien fait pour le dire. D'autant plus que la description de "l'apparente société soviétique" est d'un tel simpliste qu'il semblait tellement évident que la vraie se trouvait ailleurs.  Ainsi le SEUL élément structurant, dynamisant la société est l'Etat qui invente la société par un SEUL acte : privilèges à ceux qui le servent, restrictions pour les autres  Et c'est tout. Tout s'explique à partir de ça. La société est fermée sur l'extérieur et cachée à elle même ! C'est tout ! On ne donne pas beaucoup d'intelligence pour saisir ce prodige si complexe : quelques phrases négatives et le tour est joué, mais pour qui ? Puisque les américains sont aussi isolationnistes (ils savent bien peu de la "vraie" Europe !) et le privilégiés y cachent aussi leurs privilèges : cette description à courte vue est d'un côté tendancieuse et de l'autre côté passée sous silence. ainsi à vouloir cancaner que les soviétiques n'ont qu'UNE vie quotidienne peut prouver que nous n'en avons pas du tout. Nous vivons dans la fantasmagorie traîtresse des médias où le manque de conversations, de rapports humains, de sentiments, d'appétits spirituels, d'aventures de l'intelligence, du dénis de dialectique vitale que sous tend le concept de société du "spectacle", ou le règne de la trivialité sans réplique. A quand le Zinoviev de la folie américaine ?

 

Nova était au dessus de tout ça. La "roublarde" de la vie de tous les jours. Connaissant toute les files d'attente mais aussi inventant chaque jour de nouveaux stratagèmes pour son homme. La structure incitative (et non dissipative comme aux USA) de la société lui permettait, en fin de compte, de garder son homme : là bas elle l'aurait perdu ! Au prix de quels efforts d'accord, mais chaque obstacle franchi la gonflait de bonheur. La roublardise enfin s'achève enfin dans cette élégance de rester bien incomprise !

Partout où il y avait du mouvement était Nova Tamara. Au port, sur les quais, dans les gares où, connaissant ce qui manque le plus, fruits, légumes frais, fleur, produits de la ferme, elle aidait la paysanne de Koursk à décharger ou lui gardait le meilleur emplacement, lui trouvait le bon client-recevant, en contre partie, quelques de ces produits rares pour son Ramu. Dans le port dénichait la combine pour les matériaux de construction qui firent de la mince cloison de son logis si belle boiserie. Arpentant les nombreux parcs, elle savait délicatement indiquer aux amoureux les lieux "propices". Le grand manège du parc Gorki qui soulève à 10 mètres du sol, hors de la vue. Le bateau mouche terminus de Khimki terminus du Réservoir à Kliazma, pour 4 heures bien tranquille dans une propice cabine sur la Moscova . toujours des billets en poche ! Ou, pour deux couples, le train de Leningrad aller-retour : ça fait 2 nuits sur les couchettes propices. Pour les plus sûrs, en l'absence de Ramu, Nova prêtait l'appartement. Fouillant les barakhalki, marché aux puces, qui tantôt sont chassé, tantôt tolérés, sans qu'on sache pourquoi, elle lui trouvait un foulard de laine, une chapka de fourrure, un poddiovka, sorte de pardessus plissé à la taille ; ou bien fréquentant les "farts" (for sale), commerçants au noir, elle pouvait extirper pour Ramu cigarettes américaines, cigares ou au moins des Diamants, cigarettes albanaises ; ainsi que la Starka, vodka du chasseur, du Kouba,skaïa, du Rossiskaïa bien rosé, ou parfois même de la vodka Petrovka, de la bière Ostankino ou de la Senator Dinon , à la limite de la Jigoulovska. Sinon, loin des librairies réservées du pont Kousnetsov, elle lui cherchait des livres rares, jetant mille yeux sur les listes (à cause des stoukatchi, les indicateurs) et sentant son cœur se serrer, lorsque l'accord pris sur tel ouvrage, elle devait se dépouiller autant.

 

C'est que la culture est comme la nourriture c'est la débrouille : ce qui est officiellement dit est ignare, tout le reste il faut l'apprendre par sa propre expérience. Tant est plus vaste ce qui est caché que ce qui est montré : afin de ramener tout le monde au commun le plus attristant. Nova frôla donc la pègre, comme rabatteuse, qu'un camarade vienne vendre sa pelisse courte, il se trouve entouré d'une volée de "revendeurs". Chacun marchande, chacun lance son prix. Mais faut voir la marchandise. Ouf ! on se met d'accord ! L'acheteur fouille dans sa poche, mais où l'ai je mis, passe la pelisse à son voisin. Tout à coup, Nova crie derrière le bon vendeur, tout le monde regarde, il imite les autres. En un clin d'œil, la pelisse, de mains en mains, s'évapore.

- Alors ce pognon ça vient ? mes 20 trechka !

- Hein ?

- Mais l'argent de la pelisse,

- PELisse ? Quelle pelisse ? Moi j'ai rien vu !

Tous les regards lui faisant sentir que les hallucinations peuvent être dangereuses ! Oni vibrassivaient  tcho-to khoroskoié "ils lancent quelque chose de bon !" : la nourriture se "déguste" en rumeurs et potins annonciateurs de sa (ou non) existence : poulet tabaka à la géorgienne ou le zakouski (caviar, langue, canapés de saucisson, champignons marinés, saumon fumé et hareng salé, concombre au sel, salades de betteraves, fromage), un chachlik d'agneau. LA LISTE DES "défitstni" restera infinie ! Comme ces conversations "ti mné i ia tébé" (moi pour toi et toi pour moi) je te rends service et je sous entends que tu m'en rendra un autre.

A qui faire confiance, demain sera fait d'un autre espoir de catastrophe, mais il faut absolument savoir ce qui va se passer demain, c'est plus vital qu'aujourd'hui, qu'importe une arnaque, la rumeur doit courir, serait-elle aussi trompeuse que la voix du parti, on s'en sortira à n'importe quel prix !

Prodaiotsia, on vend !, aucun moyen de vérifier, on s'y lance, y a toujours moins à perdre qu'à gagner. Chto ty, que dis-tu, on dit que, Govoriat tcho, qu'on peut trouver un produit introuvable, masdefitsitnyié, et tous les passants inlassables parcourent la ville démunie, eux au moins consomment de la recherche, leur consommation c'est de la rechercher et tout, à chaque fois, est immédiatement "raflé", tels des flic de la morale de la consommation, ils raflent out par leur descente. La multiplication des tickets de rationnement sur le sucre, savon, dentifrice, lessive, augmente le manque psychologique, celui qui introduit que tout un chacun semble se débattre, sans cesse, comme une mouche prise dans une toile d'araignée - en ce fonctionnement spasmodique et imprévisible du système de distribution qui n'est pas assujetti au Gosplan. D'où ce plan d'agitation perpétuelle, de psychose collective, les prix vont augmenter, on fait ses stocks, comme au Stock exchange, les nerfs obéissent à la pénurie comme les yeux à la vision érotique tributaire de la dis-tribution. Les produits "déficitaires" font monter la tension ; dans les magasins d'état, usines, coopératives ;  on ne s'attache qu'au déficitaire, les articles sous comptoir, où dans l'usine trouve la pièce chabachniki ces vrais "dépanneurs" ; tout le monde sur le manque, personne ne veut  manquer ce qui va manquer - ce qui est trouvable mis de côté, mais ce qui est si difficile à trouver ? Gaspiller toute son énergie, il faut se prémunir de la pénurie et non se démunir, comme unir reste la racine du mot, l'égoïsme de base se pré-munit, pour soi-même, vairon, anguille de la vitalité - le mode de distribution créé le mouvement brownien de la science, le mouvement panique de Pan, dieu de Tout, de la vie, l'impulsion qui seule peut trouver toutes les pulsions, avec ça une perestroïka ne peut qu'agrandir les prodiges de troupeaux d'animaux craintifs rêvant de saucisson finlandais ou de livre, on devient devin serein qui devancera toujours le système enfin livré à lui-même.

 

Et toujours le cliquetis du bouclier de la caissière pour compter le kopeks.

- Votre pain est rassis, tâtait-elle;

- Tout le monde travaille dur et vous vous plaignez ! tâtonna la boulangère.

- Je le prends, n'empêche qu'il est rassis, ne capitula-t-elle pas.

- Comme toi vieux croûton, nous on attend notre tour, intervint une tête de file.

- Vous pourriez être poli, commença de participer la file.

- N'empêche qu'il y a du pain, reprit la rebondie boulangère.

- Mais quand aurez-vous du borodino, du mojaisk, du iaroslvl ? venima une voix.

- Trop de pain gris pour des russes blancs, pourriez pas le refile aux noirs.

- Grouillez, moi j'ai retenu mon rang dans une autre file, s'impatienta le stationnaire.

Chacun ricochant de ses manques faut rien manquer !

C'est qu'il faut faire 3 queues, une pour choisir, 1 de caisse, 1 pour retirer les articles, vous êtes le dernier je suis derrière vous c'est donc ça "retenir" son rang, comment voulez-vous qu'ils oublient tout ce qui s'est passé à force de retenir leur file, leur rang ; toutes rumeurs étant là pour vous y ramener, comme le battement du sang de la vie. Prodoiotsia, ce qui alimente les corps autant que le manque de nourriture : sur le mode surabondant, la rumeur !  nova savait en faire l'instinctif tri, sans arrêts suivre les cycles d'euphorie et de catastrophisme violent au millimètre. Faut avoir le goût dans la bouche de qui participe  l'histoire, à l'événement commun, alors je te balance des rumeurs. Le mouvement est nécessaire, chacun y croit ou non, mais reconnaît sa propre voix, c'est la voix du peuple, celle des connaissances qui nous couvre les vociférations glaciales du kremlin, dans cette chaleur de tous ; qu'importe que ça mente autant que le parti, au moins on se réchauffe à la rumeur, on se frotte aux autres par cette entremise, et même si c'est pour l'article à vendre avant la fin du monde nucléaire, on suivra plus la rumeur que l'on y croira !- Si ce n'est plus camarade, c'est donc ton frère ! triant la personne et l'objet. D'une manière jamais classique, comme la culture russe, sans norme,  goût des limites, cloison spécialisée, différenciée. Ici tout se télescope, les genres se mêlent tous, même le "bon" goût n'existe pas, en un creuset de rumeurs toujours plus eschatologique, tournées vers la fin du monde, ouvertes à tout ce qui va vers la catastrophe toujours plus imminente.

- Paniotcha, j'y étais, ça va arriver.

- Je voudrais y croire mais je n'ose toujours pas.

- Si demain est pire, je veux le savoir aujourd'hui.

- Les juifs ce sont eux qui sont cause des tapages, scandales qui nous assourdissent. Mais ils écrasent toujours plus !

- Evidemment quand c'est graveils se taisent toujours ; preuve qu'ils ont quelque chose à cacher !

Et autres dialogues monomaniaques à ressort, s'ils parlaient ce serait pour amorcer le scandale et s'ils se taisent c'est qu'il est déjà omniprésent. Quel ? Pas à le savoir ! Faut se rabattre sur quelqu'un.

- Na skorouiou Roukou.

- A qui me plaindre est-ce que cela change quelque chose. Le système ? jamais on ne saura le faire revenir de l'autre monde, soliloquait Nova ? AU MILIEU DE cette peur patiente prise dans la nasse, où cette horreur de vie dévoile quand même, comme dans ses derniers retranchements, la si positive Nova. Qui sait si bien s'extraire de tout aigre propos :

- J'ai une affaire urgente à faire.

- Quelle affaire ?

- Rester en vie !

 

Etre tant tributaire du distributaire dévoile le tribut : la dé-brouille qui ne te brouille plus avec la réalité, vu qu'au minimum, tu doives la précéder : la plus-value ne peut surgir que de la distribution, vue d'en bas, et en aucun cas de la production ; il faut donc avoir d'énormes connaissances sur la distribution, qui n'existe pas, mais s'invente à chaque pas ; faut se parcourir de l'influx électrique, ne jamais être déconnecté des autres ; faut âtre tissé du même fil que toute la toile d'araignée. Nova et Ramu voulaient en tirer (sauf manque de papier) le "Système R", tous les coups faits ou à faire, dans un halo incertain, autofinancé par les annonces offres-demandes. Nova ayant trop arpenté où l'on reluque la relique, où la moindre liquette de l'ouest devient relique, où, avant même qu'une caisse débarquant au Kouznetski Most soit déballée, des dizaines de mains ont lu en braille et tous les livres sont vendus ; où le moindre paquet oublie son destinataire - la méthode est de faire la jonction ! L'éclair : prévoir ce qui manque le moins à l'un contre ce qui manque le plus à l'autre. L'ETINCELLE/ : iskra, les échanges qui changent. Une babouchka à qui le fils de sa sœur décédée avait remis un petit sac de cuir dégorgeant de tchervoniets d'or et qui, ne sachant qu'en faire, consulta la plus sympathique des habituées du parc Gorki. Nova sut faire trois heureux, "l'investisseur" pas tout à fait antiquaire, la babouchka et Ramu, répartissant judicieusement la plus value. Aurait-elle si vite compris que connaissances économiques ne sont que connaissance humaines ? Connaître les connaisseurs ? Une dague tcherkesse avec incrustation d'argent et fourreau ciselé ayant connu son 18ème, ne la divulgua qu'à l'Izmailovskii park. Toujours à l'affût pas de raffut, affûtée à force de se multiplier partout à la fois, Nova devenait futée sans le savoir. Au marché central elle te dégottait les fleurs du mal, ces coûteuses roses caucasiennes, un plein bouquet, et sans bourse déliée en attirant un nombre suffisant d'acheteurs, glissant simplement une seule dans ses cheveux d'étoile, si bien rehaussés par son regard de braise, sa lueur toujours où il faut, discrète mais comme si on ne voyait qu'elle. Puisque dans le société sentimentale, on apporte toujours des fleurs pour aller chez quelqu'un - Nova travaillait d'importance. C'est que le marché noir est la vérité du marché, à quoi bon l'ignorer, les autorités font tout par la bande pour l'impulser ; et lorsque noir est le marché il faut reluire longtemps pour en avoir des lumières : le pire des "marchés noirs" se trouvant bien en occident, la Bourse il s'appelle, les lois du marché doivent rester noires sauf à qui y a lumières et ça a toujours marché !

 

Toujours Nova se dégageait d'un léger coup d'épaule de la brume de sa souffrance. La vue tremblée de sa silhouette redonnait courage au plus lymphatique !

Elle s'extrayait de la foule de ces ménagères se faufilant en ville comme des maquisardes, visiblement privées du moindre droit, que tout milicien peut engueuler, que pourchassent les petits rires dédaigneux des parvenues, ou que salissent les sourires des privilégiés. Nova ne faisait plus partie de cette donne, c'était plus son jeu ; elle s'extirpait de la foule non pour se faire remarquer, mais le feu de son amour avait bien enflammée toute son intelligence. A l'avant garde de la roublardise, travailleuse de la "main gauche", reine de la resquille et non proie de la chasse incessante et sans repos à tous les besoins si mesquins du quotidien. L'aventure qu'elle vivait ne s'avouait pas de précédent, de référence, de garant éthique, d'assurance, de protection ? Etant hors de la pensée dirigeante, oublié, le quotidien doit se faire tout seul, sans filet, en oubliant le carcan tatillon de dérèglements prévus comme règlements.  Doit donc toujours improviser sans l'aval ni l'avis de personne - ce n'en est pas moins l'espace vital le plus nécessaire à la société et pourtant jamais diffusé. Le voies de diffusion doivent rester entièrement libres pour la propagande de l'idée suprême. Le système de distribution existe bien mais ne distribue que des idées, des slogans, des mots d'ordre : les idées seront toujours distribuées, la matière importe peu au royaume du matérialisme !

 

Nova se disait être malheureux n'amène à rie qu'à ne s'intéresser qu'à soi même, c'est pour ça que Ramu est si peu curieux de moi. Ramuntcho pouvait effectivement ne s'occuper que d'organiser sa coopérative d'artisanat, de ses fêtes sans s'obnubiler sur ou caves ou greniers à l'écart de la ville, anciens hôtels particuliers transformés en appartement communautaire mais qui conservent des recoins inoccupés mais vastes pouvant résorber jusqu'à trente personnes - sur l'approvisionnement des mois à l'avance.  Tant d'inconscience, de confiance inébranlable déposée sur Nova auraient pu le faire tiquer, non trop sûr qu'il était de l'amour de Nova, pas lui qui ricanerait : Natacha tu n'attachas pas !

Comme le chien errant qui déchirait à belles dents son sac en plastique à craquer de mets.  Nova dut les ramasser, l'air de rien, sous les regards envieux ou assassins. Grâce à Dieu, sac en plastique dans sa poche toujours elle avait. Elle avait aussi marre des concombres salés dont bien trop souvent elle faisait son repas ; marre de rien garder pour elle, ce mouvement de révolte se résorba dés qu'elle pensa à Ramu. Dans la douceur des chants Khirkisses, elle pouvait enfin se laisser aller à son amour. Puisqu'on la croyait triste, humiliée !

- Tchechkov qui n'aime pas le tabac, pouvait opter pour tuer l'esclave qui est dans soi.

- Que les démons te niquent le postérieur.

- Mickheitch, fous ta bonne femme dans l'oreille gauche.

- Tu dois te sentir tout seul où se cache l'hérésie en te fondant dans ta foi dans e régime. Tout seul tu dois extirper de toi l'élément séditieux indésirable à ceux qui siègent au firmament du parti.

- Mais c'est une devinette, l'énigme du sphinx, et jamais la réponse ne sera révélée : bref le jeu de qui gagne perd !

- Tout le monde doit croire, le scepticisme est puni par la loi. Hier tu devais déclamer tout va bien, aujourd'hui tout va mal avec le même entrain, et si tu surgissais, marre de dire tout va mal, tu perds ton emploi.

- Et pourtant tout va mal, rien ne fonctionne, se mit à réciter un lecteur de la Pravda.

- Va te casser les œufs ! bafouilla l'ivrogne, il voulais juste dire tu nous casse les couilles.

- Toute cette incurie va faire écurie, se rajouta un quelconque vieux général, il y en a tant.

- La transparence c'est de l'obscurantisme mon général, s'aligna un lèche-cul de soldat.

- Petit con ! la refonte économique nous rajoute encore de la fonte à notre boulet, le renseigna la Babouchka, ils font juste qu'augmenter les prix, tout le reste je n'y croit pas.

- Quand demain c'est depuis 50 ans demain, les difficultés économiques seront vaincues, vaincues et non évitées, prises toutes en compte pour être résolues. Et non brandies comme quoi toujours quelques un font exprès pour mettre tous les bâtons dans les roues de ces dirigeants si pleins de bonne volonté, risqua l'écrivain de service.

- Les pauvres ils ont si peu de moyens. Le moindre grain de sable fait tout péter, commanda, le général vieux.

- Si ça marche pas c'est évident c'est du sabotage, lécha l'autre.

- Boire un coup rime avec bon sens en russe, lui rota l'ivrogne.

- Le niveau de vie stagne mais les besoins de consommation augmentent sans arrêts, les prix sont vertigineux et la qualité vertigineusement se détériore, tout est brak, tout reste chtampni ; ainsi il y a quelques mois le pain était à 16 k puis il y a quelques semaines à 20 k aujourd'hui 24 k et on nous promet quatre fois l'augmentation encore, lisait-on dans Ogoniok.

- Les changements économiques c'est juste que les prix grimpent, les réformes servent à augmenter les prix même si on se réfère au référent, lui, allonge la ménagère.

- Lorsque le changement est là ,faut bien faire quelques sacrifices.

- Comme d'habitude.

- Mais les retraites n'augmentent pas, chevrotait-il, les impôts augmentent, même sur les véhicules d'handicapés, la vie augmente, mais pas ma retraite, impossible de les faire battre en retraite.

- Y a même pus de savon, on ne peut même pas chanter moidodyr de Kornei Ivanovitch aux enfants.

- Pas de lessive on est propre.

- Ces queues c'est une offense faite à notre peuple, une humiliation par trop injuste, s'insurgea le retraité.

J'ai, depuis très longtemps compris la fragilité de ma situation dans la société chuchotait Nova.

- D'autant plus que les queues c'est porno, se tordait l'ivrogne.

- La seule échappatoire vitale, toujours suivre à tâtons une double voie, double jeu toujours, dédoublement de la personnalité, accepter tous les double bind, vivre à moitié, l'autre moitié toujours cachée, en silence, tout ce qui existe reste masqué; secret, à double fond, se mit à ânonner la voix de l'Amérique qui s'y connaissait.

- Nous avons tous les sub- subsister, submerger, subconscience, subdiviser, subir, subjuguer, subodorer, subordonner, subterfuge, substituer, lui rendit l'étudiant indiscret.

-  Le système communiste est bon en soi, mais à cause d'un certain nombre "d'erreurs isolées", des événements regrettables se sont produits, énonça l'acier de garde.

- N'isolons plus les erreurs, regroupons les, rigolait un autre ivrogne.

- On ne veut plus être des douniacha.

Surgissaient partout les conversations et non les pénuries de conversations.

- ON MANQUE de tout, rien ne marche, il faut un ordre fort, remit le général.

- Je veux me sentir digne d'estime, ne fut-ce que par moi.

- Il faut tout abattre, tout balancer, estima l'étudiant.

- Mais pour mettre qui ? s'abattit la ménagère.

- C'est toujours le pouvoir qui veut rendre malhonnête, te marchande ta délation, dénonça l'agent double.

- En plus faut leur fournir leur système de distribution, se souvint le retraité.

- Je veux espérer et je n'ose plus espérer ; Nova s'en foutait.

- Quelle est la troïka de la perestroïka ?

Distribution,  Information, Diffusion, écrivit le ciel (I.D.D.)

- Va-t-i falloir se soumettre aux désirs du consommateur. Se mettre à sa botte désormais ? s'ergotait le général.

- Ce sera l'orientation unilatérale vers la satisfaction des exigences des consommateurs ! déplana le planificateur. Chaque faction sa satisfaction ! Tout un chacun ne cherchant qu'à mieux vivre personnellement et se souciant fort peu des questions d'intérêt général.

- C'est ça le particulier mon général ! le pourlécha son ombre.

- Mon cul, ce sera toujours la pokazoukhia (pour la montre), se décillait MITSY.

Comme les vitrines du Goum où est exposé ce qu'on ne peut pas trouver à l'intérieur.

- Mais la pub occidentale n'est-elle pas "pour la montre", elle présente ce qui n'existe pas, ouvrit l'autre oeil Igor Iste, c'est une vitrine en différé !

- Tout y est masqué, comme ici, maskirovannoié, l'élite pour le peuple tout aussi bien, s'escrimait Mitzy.

- Mais ce dédain enraciné et arrogant à l'égard des petits, d'où ça vient ?, composait l'étudiant.

- C'est le revers visible du statut de l'information, explosa Nova. Tel le black out qui enveloppe le consommateur ! Pas de renseignements les plus élémentaires sur les biens de consommations (revues, statistiques, critiques comparatives)- Ce qui se visualise en marche à pied, téléphone arabe, tâtonnant dans le brouillard superposa Ogor Iste.

- L'information est une denrée dont la pénurie augmente avec le manque de relations, les relations te mettant en relation avec l'info. L'info se vole d'en haut : plus tu es haut placé, plus tu es informé !

Au royaume où aucune distribution n'existe tout est compartimenté par l'information - ce qui devrait faire plaisir à l'homéostasie - l'information structure la société comme Marx l'avait prévu !

- Mais pas du tout que le savoir soit un pouvoir à limiter au maximum ! urgea l'insurgé.

- Faut le dessin, pigeait Igor Iste, c'est dans les bibliothèques, le commun communiste n'a accès qu'au dixième, jamais au spetskranis (salles de réserves, fonds secrets) qui ne se dévoilant que par hiérarchie. Mais ce qu'il reste à piger c'est que c'est la "littérature" qui est le plus mise au secret, ensuite les vrais reportages journalistiques, bien plus loin la sociologie, enfin la science se "cache" moins. En URSS s'est ainsi dessinée l'étrange carte des dangers.

- Les journaux ne devant être que "propagande de production" d'après Lénine, se matérialisa Mitsy. Pas d'info de consommation !

- L'information n'est pas prioritaire pour le travail du journaliste, débanda une bande de vieille propagande.

- La mise de l'information au secret révèle le secret de l'information, estima Igor Iste, le secret c'est l'attente et l'accès ! L'argent n'est jamais un problème, mais L'ACCES aux choses, aliments, vêtements, livres, infos. Le blat (relation influence) met en "rapport", donne "accès", à ces choses et le divin c'est que "le blat" c'est tout le monde car chacun a ACCES à des articles ou services difficiles à trouer ! Chacun dans son coin donnera accès à tout !

- Igor Iste, accéda Nova, tu voudrais faire comme une métaphysique que ça ne m'étonnerait plus, nous subissons, nous ne surplombons pas !

- Vivre dans un environnement historique sourd et muet (pas d'histoire, pas d'info), accourut Mitzy, pousse à "ramasser" le sens comme on peut.

- Le vide d'info attire la rumeur, soutint Igor, la rumeur c'est la marché noir de l'information ! La rumeur se nourrit d'autant mieux qu'elle manque d'infos. Si la demande prédomine toujours chez nous, c'est que l'offre d'info reste toujours aussi nulle, dans tous les sens du terme.

- Ce manque d'info permanent paralyse toute discussion publique indépendante qui ne peut se former (pas d'opinion publique) sur presque tous les sujets sérieux, s'insurgea l'insurgé, si tu pends à l'info tu dépends de qui te la donne - rare sera une opinion si indépendante lorsqu'elle sont toutes dépendantes, au sens fort du mot !

- La rumeur ne serait-ce que la prise en charge par tous du fait que l'info doive exister, métaphysique Iste Igor.

- Ainsi au son du cri vibrassivaiout tcho-tokhoroskoié, l'épaulait Mitzy ; répond "l'avoska" le filet à provision dans lequel nulle femme ne sort, puisqu'il sort du sens "peut-être, par hasard"  - toujours prêtes pour le coup de chance !

La chance serait comme l'information de la rumeur, puisque la rumeur de l'information court toujours !

- Le destin s'est caché dans la consommation, exudait Igor Iste, aussi se voit-il déifié dans ces marches permanentes pour avoir la trouvaille insolente dans ces jours sans fin d'une loterie plus qu'hasardeuse que représentent nos vies de tous les jours.

- Tous les articles ont une apparition, sur le marché, IMPREVISIBLE. Comme la météo. Prévoya Ramu.

- Les réactions de tout un chacun ne peuvent donc qu'être imprévisibles, incurvait déjà Nova.

- Mais tout est toujours prévu dans le Gosplan, se réveillait de sa sieste le général.

- Ah bon ! et pourquoi lorsque je choisis quelques articles dois-je vérifier s'ils ont été produits avant le 15 du mois, et non après ? le décora Nova.

- Touchenka ! s'ennuya le général.

- Ce sont les 3 décades, venait à la rescousse Ramu.

- Boriadok ! bailla le général.

- Les 3 décades du mois : spiatchka (hibernation, somnolence, fièvre). Après avoir "réalisé" le plan, comme vous dites, on s'absente, on est épuisé, on sommeille, le travail effectué s'en ressent, c'est du bon boulot. Ensuite le Plan ressurgit, il faut accélérer, on finit tout de même les finitions?. Mais dernière décade, faut faire les chiffres quoiqu'il arrive, jusqu'à la "tempête", le forcing, le délire, le chtourmovchtchina, là le travail est bâclé pour le boucler. C'est pour cela que nous vérifions, avant d'acheter, que le produit soit bien sorti le 15 du mois (à la limite le 20) !

- Le destin nous rejoint toujours, persistait Igor Iste, en murmurant NITCHEVO, rie, peu importe, ne vous tracassez pas pour ça, on y peut rien alors ne nous emmerdez pas pour ça ! dés qu'il s'agit des problèmes de production s'enfle le fatalisme flegmatique, l'indifférence, l'endurance résignée, la futilité des haussements d'épaules, les refus des responsabilités (de toute façon c'est le Plan !). Nitchevo !

- Nacha louchté ! était toujours en retraite le général.

- De toute façon c'est nous les meilleurs, c'est chez nous que c'est le mieux, traduisait Mitzy.

- Poriadok, retraita le général en retraite.

- L'ordre est là, c'est ça ? parodia Igor Iste, au souvenir du dictionnaire affichant "ordre propre, procédure, succession", ça va bien "ça colle" quoi ! les choses allant de la manière prescrite par les autorités : les rues bien balayées de Moscou, ou son métro immaculé-poriadok !

- C'est bien pour cela que le même ordre doit comparaître dans la distribution plaida Nova.

- Pojalouista, lui négociait le général.

 

- Puisque vous m'en priez, c'est pourquoi je prie !

- C'est que rideau sur la distribution veut bien dire quelque chose, remétaphysique I gor iste. Le rideau de fer existait partout et maintenant qu'en faire ?

Le contrôle politique qui divise les gens en EUX et ENTRE eux a été la serrure bien huilée de ce rideau. Qui était partout. Dans toutes les têtes. Avec la peur ou la répulsion du contact avec les étranger à la clé.

- Qui va tourner la clé, s'ouvrit Ramu - pour que rideau avec le rideau !

- Le contact avec l'extérieur saura-t-il mettre le contact, tourna Nova.

L'URSS TOUJOURS SI SURE d'elle même - skoro boudet - serait en train de l'apprendre à la dure. A la complète différence des USA qui n'apprennent toujours rien dans le mou (sans réplique) de ses fantasmes !

- Le  "contact", comme dit Nova, est-il vraiment devenu visible ? se hissait Mitzy.

- La liberté de publication et d'écriture n'arrive toujours pas, la totale liberté n'est qu'orale, scoope la journaliste de service, c'est qu'il faut changer le climat.

Justement, Mitzy et Igor Iste trimballaient leurs touristes.

- Non il n'y a pas besoin de pub, y a pas besoin, les gens SAVENT.

Abasourdi par ce miracle de la capillarité, l'occident ne croyait savoir que ce qu'il voyait, file, pénurie, patiente résignation, et donc son bon cœur parla :

- Horrible une vie sans pub, juste assujettie à la propagande pilonnée.

- Au contraire, un pays où les gens sont suffisamment assujettis les uns aux autres pour tous leurs besoins, tout le monde a du "blat" pour quelqu'un d'autre, innove qu'il n'y ait besoin d'aucune pub pour savoir. Tel est l'effet vertueux qui 'aurait jamais pu être prévu, décidé, programmé, imposé - même avec désinformation les gens se communiquent l'essentiel parce que dans le bain.

- Mais où est la liberté individuelle si vous dépendez d'un système de distribution qui n'existe pas, qui n'émerge que par poussée vitale des besoins individuels. Système métaphysique sans logique qui secrète son opposition dans sa poursuite du matérialisme.

- Chacun, au contraire, devient un vrai entrepreneur privé avec ses jugements, plans d'investissement et de recherche, connaissance des secteurs, puis décision - cet inconnu système aboutirait à la reconnaissance entre individus mais pour le bien, pas comme aux U.S où entreprise privée "entreprendre les autres" mais contre qui, contre quoi ? la cible qu'il fallait délimiter ? La pub est la preuve de l'arnaque non ?

- Faut foncer dans les gens, comme si c'était un tas pour qu'ils aient besoin de ce dont ils n'ont aucun besoin.

- Ca ne ressemble pas à une attaque aussi rapprochée.

- Trop dangereuse ?

- C'est un moyen de communication moderne.

- Tu vois c'est ça la pub Mitzy, on les accable par tous les murs des villes, écrans, radios interposés, la pub INTERROMPT toujours, comme un cheveu sur la soupe.

- Les gens ne savent donc pas se parler pour se dire tout ça ? S'étonna Mitzi.

- Mais c'est jamais le moment, le bon moment le renseignait Igor Iste et, se tournant vers l'occident touriste, pourquoi ne pouvez-vous vous passer de la pub ?

- Mais sans la pub ce serait un système hyper compliqué.

- Ah bon, chez nous il est tellement simple, avec un espace gigantesque et une population tellement hétérogène que ça en est plus simple, notre "pub" s'est toujours faite même dans le noir, dans l'obscurité la plus totale quand rideau sur TOUS les esprits individuels.

- Une réforme dans un territoire si hétéroclite à 104 nationalités, aux forte distorsions des temps dues à l'immensité et l'éloignement, doit, en plus, concerner SIMULTANEMENT tous les aspects de la vie sociale politique économique individuelle et collective de haut en bas de la société et horizontalement partout dans ces impossibilités mathématiques et physiques provoquées par de top grandes distorsions temps-espace+tant d'INTERETS OPPOSES à tout changement, d'esprits insaisissables puisqu'appartenant à la structure psychologique du capitalisme : tout pour moi-moi et tout de suite, tant pis pour tous les autres structure apparemment indestructible devant laquelle découragement, impuissance conscience de la vanité de tout effort empoigne. Tout est si facile ici !

- Mitzy c'est le penchant de l'âme russe "tché obomov" évidemment ici tout est simple simpliste et n'appelle que la condescendance.

- Toute conversation réalisée avec vous entraîne vers toujours plus d'arguments.

- C'est que parler a toujours été chez nous notre seule pub ! Tout un chacun y est concepteur maquettiste diffuseur commercial tous les organes d'info à lui tout seul. Ecrite ou télé sa vision porte au loin les maquettes ! c'est qu'on a appris à la dure : par manuscrit fleuve sur le ruisselet de feuilles de papier à cigarette. Ce que vous condescendez à nous proposer c'est la version infantile d'une humanité adulte, votre société ressemble à un gros jouet où on joue à tout, on joue à la pub, à l'art, à parler ou écrire, à conseiller, à spéculer, nous on fait pareil après tout mais sans fard sans maquillage, sans apprêts, tout nu et sans illusion, quand on écrit c'est pour de vrai, et parler, après avoir été obligé de ne dire RIEN, ne peut être parler pour ne rien dire, vrai votre société-maison-de-poupée jeu-de-construction-pour-gamin m'attire moins que vous pensez ; nous on souffre dans le concret, vous cela semble toujours dans l'abstrait.

- Tout ce qui semble faiblesse, erreur est en fait positif, chacun a du apprendre à se débrouiller tout seul avec es autres, l'autonomie c'est vivre à la dure, jamais de guide, de confort moral ou intellectuel, toujours dans le noir et pourtant tout et immense savoir INCONSIDERE, dont il n'est pas pris la mesure, nous empêche d'accepter toute version édulcorée des choses. Nous savons au moins ce que nous refusons !

 

Submergé par cette novation pour lui indicible, l'occident touriste ne se grattait plus que de sa supériorité.

- Comme on avait oublié de nous le dire à nous russes, c'est cette absence de contrôle sur nous mêmes qui a créé cette présence du contrôle incessant sur nôtre âme démesurée, extrémiste, qui brûle sa vie par les deux bouts, et nous l'admettons d'autant mieux que nous avouons si facilement nos crimes avec émotion ; se soumettant à l'autocritique, on a tout faux, notre système insensé pourtant comme il nous a contraint à nous transformer malgré nous, en cela reposeront toutes nos acquisitions futures.

- Mais vous avez pris la mesure de ce qui vous guette dans le futur ?

- Ce qui nous guette dans l'avenir est ce qui nous guette, donc l'avenir nous surveille : les miradors se haussent, hissent, embusquent, aura-t-il visage de camp ou de champ, l'avenir nous guette, épie, à l'affût, faites donc attentions à nous, il nous regarde sans cesse, CA nous regarde donc, surtout s'il nous attend avec impatience ! Et le vôtre il n'a pas à se dégager de son présent incertain ?

Pour nous la mentalité à pronostic n'aura pas ses courses.

pour nous la mentalité à spéculation n'aura pas sa bourse

pour nous la mentalité à supputation n'aura pas cours

pour nous la mentalité à statistique n'aura pas ses courbes

pour nous la mentalité à futurologie n'aura pas ses bourdes.

l'avenir s'explique ou existe, le plan explique si on augmente les prix tant de chômeurs, il existe si on augmente les prix le niveau de vie ne risque pas de s'améliorer, il s'explique si privé, il existe bien plus têtu, il s'explique nous utiliserons les concepts d'occident  les plus modernes, il existe s'ils se révélaient les plus archaïques... cette sarabande, ce maelstrom de millions de conversations tournoyait dans la tête de Nova !

- Qui saura se transporter dans l'avenir, y aller extrapoler, va devenir la denrée rare et nécessaire de notre système. Qui saura sentir, vivre de son mieux le présent, dessine le futur, car à toujours asséner que 24 heures sur 24 le pouvoir mène nos vies, il trace juste l'encombrant cadre et, à l'intérieur, seules les actions inédites, toujours nouvellement inventées, en avance sur ce système qui ,autrement, nous dévorerait, devinera comment communiquer ce futur. Autrement on va se faire chier par les devins ! L'avenir semblant caché quelque part dans le peuple, comme disait les populistes, il faut bien qu'ils nous ligotent à coups de devins !

- Dans ma vie, ce sont en fin de compte les autres qui mènent ma vie ! Il est plus avantageux pour moi de connaître cette humanité que la loi, d'étudier toutes catégories d'espèces de salopards d'hommes que les conneries d'alinea de lois, et me voici contraint de croire plus dans les rapports humains que dans les idées, seraient-elles celles de la pub qui n'est peut-être que le maquillage en objet de ces rapports humains - j'ai vu ça dans un rapport scientifique.

- Ca multiplie les rapports, rigolait Ramuntcho.

- Igor Iste tu es rigoriste ! laissa Nova, déjà partie, c'était samedi, jour des enchères, rue Dmitrov.

 

L'état y a déjà son droit de péremption, son pourcentage assuré : par qui ? Ceux là même qui n'ont pas le droit d'exister - les investisseurs autonomes s'essaient à tout rafler, optimiser les prix dans les secteurs atteints de pénurie, c'est à dire partout. A quand donc les produits courants : le saucisson aux enchères ? Pourquoi les seules antiquités, TV, hifi, meubles ou vêtements ? Pourquoi se spécialiser, quai Krasnopresnenkaïa c'est plutôt le matos visuel ou sonore, rue Dmitrov dns l'antique ? Ce serait faire de l'implicite ! Le système soviétique s'admettrait comme une vaste mise aux enchères, au plus offrant, et c'est une offrande, enchérir à en chérir qui donc, battre tous les autres en offrant toujours plus, tout est précieux (carus : aimé), rendre plus cher, plus valeureuse la valeur, plus exponentiel le désir. Le système soviétique une enchère d'amour qui s'ignore ? Refusant toute distribution, sa permanente mise aux enchères ne peut que révéler qu'il s'adresse plutôt à ceux qui aiment le plus, donnent le plus, chérissent le plus ce qui est cher. C'EST LA TOUTE IGNOREE GLOIRE puisque slave de "slava" voudrait dire gloire, gloire qui s'ignore puisqu'on l'ignore, on lui a trop tourné le dos ! L'amour fut détruit, gommé au nom d'un avenir radieux, il ne peut plus être aventure individuelle qui ignore la société, qui s'isole, mais, à la limite, prétexte à transformer la société. L'amour comme tremplin vers la société future, toujours plus future ; le pc eut même le droit d'intervenir dans la vie sexuelle de ses membres ! Serait-ce pourquoi, même les mieux installés, tout le monde a ses manières de "sans logis", toujours en rupture de ban, toujours ce masque de hors la loi lorsque la loi empêche littéralement, concrètement, de vivre ou d'aimer ? Partout, dans toutes les villes d'URSS, on chercherait l'aventure, emmitouflé dans la pudeur orthodoxe, le scandale menaçant à tout instant, l'atmosphère s'alourdissant, on flâne toujours à deux par souci des convenances, mais encore plu pressé de faire connaissance, directement dans la rue ; sans d'autres attaches la rue serait leur rédemption, c'en est aussi vital, aussi caché que la culture, ce qui est caché serait le plus précieux, aussi l'amour qui reste et persévère c'est dans les jardins, sous les balançoires, les porches, voire les transports publics - bref les lieux non cachés ! Là se trouve la vie privée : puisqu'elle le fut ! L'entreprise y est encore plus risquée. Oh c'est juste parce qu'on manque de lits, si les parents nous cédaient leur lit on ne serait pas dans des lieux toujours plus publics ; si la vie sexuelle se cache dans les lieux publics elle fait comme tous les grands amours. Le système soviétique serait-il en train de devenir le plus amoureux qui soit parce qu'il ne s'est jamais entièrement programmé ?

- J'ai 31 ans  et 5 enfants, il faut que je les nourrisse, vous trouvez ça normal j'ai le droit à l'aide, ces enfants m'ont été imposés par le communisme, ils ont quand même le droit de vivre, je ne veux pas être une "mère glorieuse" juste faire vivre mes enfants ; les vôtres, et je dois faire quatre heures de queue pour essuyer un refus, fit-elle l'histoire, des histoires !

- Lorsque sera loin le temps où la femme crie, vide toi où tu veux, vide toi ailleurs, partout, mais pas en moi ! sera lointaine cette contraception rudimentaire, faut encore faire la queue quand il y a des capotes coréennes, rien n'est absolument fiable, sinon le torrent de larmes et de reproches qui hoquettent, pas attention à moi, t'avais promis et je suis "coincée", comme on dit, la polyclinique m'oblige toujours plus, se rappeler ces horribles avortements, aussi dangereux, les stérilets en platine existent bien mais à 0,00 et... et se lamente l'homme, ces relations sexuelles toujours inachevées, frustrantes. Tu es née quand même, malgré tous les poisons que j'ai avalé, la baptisa la mère de Nova.

- Un vieux proverbe dit "la poule n'est pas un oiseau, la Pologne pas l'étranger et la femme pas un être humain", nos slaves auraient-ils toujours ce profond manque de respect pour les bonnes femmes et leurs pensées ? Quelle rampe avec sa serpillière sur les dalles, balaie la neige, transporte des sacs, use du marteau piqueur, sûr aucun des travaux les pus rebutants ne lui sont inaccessibles ! La place de la femme dans la société serait-elle de la science fiction ? Une anticipation sur quoi ? Mère héroïque ou femme stakhanoviste, égérie insolente ou femme libre ? De son incompréhensible amour, Nova sortait de tout cadre. Rédemptrice pour sortir l'homme de l'ornière, elle passait directement de la crasse à la classe, le triomphe était en elle. Nimbée d'autant de souffrances, comme la Russie, elle serait le sphinx, la ténor tragique de notre époque, aurait dit Alexandre Blok, un secret, un mystère détachant un à un ses voiles, jetant celui de l'espoir, du désespoir, aimant jusqu'au bout, le cœur déborderait à se faire mal. De fatalisme, Nova accédait même au "Je ne veux pas du bonheur qu'on me dispense, si je ne suis au préalable tranquillisé sur chacun de mes frères par le sang, os de mes os, et chair de ma chair" de Bielinski. Pourtant bien loin, à l'opposé total de sa sœur U.S qui mène l'homme par le bout du nez sans son cadre bien établi de lois à pensions alimentaires obligatoires et disproportionnées ou de ces "vieilles filles de la révolution" cernant d'un seul côté le Maison blanche et dont le rôle dans la direction du pays n'a jamais tenté les élucidations - Nova ne veut recevoir de son homme que quelques regards moins lointains, moins distraits ou moins écrasants, dans ses moments de lassitude uniquement. Au royaume où la femme serait considérée comme inférieure cela semble-t-il difficile ? Mais alors en démocratie (hors tout autre mérite évidemment trop indispensable !) cela semble trop difficile ? Pour court circuiter tout amour trop dangereux, inflammable, démesuré, fou, aveugle, la démocratie comme éteignoir de l'amour vrai ? Mais dans un pays aux notions instables, Nova a toutes ses chances (aux U.S.A. elles avaient tellement arnaqué les mecs que voulez-vous qu'ils daignent encore), dans ce système non défini, ni fini, qui ignore qui il est, Nova garde toutes ses chances, et les nôtres !

 

Mais la peur ? C'est être délivré de la lourde tâche de prendre soi-même ses propres décisions. Ramuntcho avait déjà admis que l'absence de choix facilite la vie. La liberté n'engendre-t-elle que la terreur, la peur, les larmes, l'humiliation ? Le début de l'accoutumance en ce reniement de la "volia", volia liberté comme absence de contrainte, mais volia volonté, la liberté est niée quand la volonté ne peut s'exprimer ! Ah Ramu, à part ses fêtes dans la Bochaïa Polianka ou dans la toujours mouvante carte qu'il dressait dans sa tête, son artisanat selon l'article AA 17 de la constitution de 1977, un citoyen peut vendre sa production, ou celle de sa famille, si c'est dans l'intérêt de la société, autrement c'est du "parasitisme social", des revenus non professionnels" (comme tant en occident), et son travail au SERVICE MUNICIPAL perdu dans les 1,4 millions d'autres dépendant su Mossoviet, près de la rue Gorki, juste à proximité de l'Intourist.

- Le goût de l'effort serait bien anéanti, toisait le bureaucrate.

- Mieux tu travailles moins t'es payé, renia le bon sens. D'autant la productivité du plan est dépassée d'autant ton salaire est baissé. Conclusion moins tu marnes plus tu gagnes !

- Le devoir astreignant et ennuyeux qu'est le travail, fourré d'amertume, doit être réhabilité. Sempiternel bureaucrate pas contraint à changer : apathie et inertie sont hypothèses que le discours inlassable de la perestroïka doit évaporer.

- Mais le manque de force, toute branchée à préserver en soi quelque chose de sacré, pendant ces dizaines d'années d'absence d'idéal, qu'est-ce qu'on en fait ? Nova saurait-elle faire vibrer le diapason d'une foule de possibilités excitantes ? Elle avait grandi toujours droite, quand personne n'est là pour porter un jugement sur rien, pour manifester le moindre désir pour ou contre, aller à contre courant ou non, lorsque  pas un mot n'est dégagé de son fardeau mortifère de trouille et de mensonge. Et son air de tristesse à vous transformer en maman, comme le rock'n Roll, qui lui rabat les opritchniki, refuznik, parodiant Efim Etkind, à toujours vivre dans le monde extraterrestre des valeurs non officielles, non "sociales", à part, hors courant, pas sur terre. Parfois une larme coulait comme sa longue Voga tranquille, cette sagesse aquatique dont elle était pleine Nova n'en coulait qu'une larme, mais moi je lutte contre tout espoir et s'il y a la moindre miette d'espoir je la trouverai, poursuivait-elle, sa logique de lumière sautant d'une luminescence à l'autre, comme un écureuil invisible sur tous nos arbres décorés d'amour rare qui les caresse.

- Tu me laisses trop souvent seul ! disputait Ramuntcho, que peux bien tu faire ? tu ne me laisseras pas tomber ?

- Je ne t'abandonnerai jamais car je suis plus toi que moi. Et depuis si longtemps. Si je t'abandonne, la fumée de moi-même serait dissipée dans les tourbillons du vent en quelques secondes. Mais toi tu crois que je t'abandonne, dés que je sors c'est pour te ramener ce dont tu as besoin. C'est si dur d'y arriver chuchotait-elle, de plus en plus courbée, et sur le bois de ses lèvres seules les plinthes pouvaient la consoler.

Nova avait grandi optimisante, optimisme, malgré l'ambiance d'aigreur générale où chacun doit se méfier, se garder de tout le monde, s'écraser méticuleusement, se supprimer, s'annuler, puisque le seul moyen de se distinguer socialement, de gagner le respect des aînés reste le critique, dire du bien ou du mal selon le froncement de sourcil, mais toujours à base mesquine, dénigrant le meilleur, je te raconte l'insoutenable, serait-ce que c'est insoutenable, oui ils n'arrêtent toujours pas de soutenir, comme les conversations interminables du "système Dali" où tous les appels se mélangent et viennent soutenir ta propre conversation, puisque pour 5mn ou 400 heures de téléphone on paye pareil par mois, comme l'électricité ou le gaz qui, en hiver brûlent à longueur de journée pour chauffer "la ville qui ne s'éteint jamais", sauf si on te chourave ton ampoule, de tous les coups bas qui t'abattent plus bas, en foison. Aussi dans le moindre détail, Nova mettait dans la réalité quelque chose de solennel ! Comme tous les soviétiques d'ailleurs, mais uniquement lorsqu'ils lisent éternellement, même à la lueur des bougies, qu'ils ont l'infini de lire et parler à perpétuité. Tous ces "bons à rien" d'intellos sont donc mal vus ! Pourtant un texte en URSS, n'appartiens jamais à son auteur, on l'examine comme une maladie honteuse très contagieuse, sa pathologie reste source de confiscation et poursuites, personne ne peut donc faire confiance à l'écrit. Tout le monde s'y adonne sans cesse pour vérifier ! Serait-ce que le bastion de la culture se tient par l'inculture ? Toute information est secrète et dans tous les domaines de la société. L'info n'appartient pas au circuit de production, elle n'est donc pas bonne, un luxe à histoires et tant de fatigues à tout falsifier : elle n'a qu'à pas commencer ! C'est plus simple ! Le manque de papier apparent reconnaît le manque de culture, en est le garant. Que la machine à polycopier individuelle soit interdite à toute personne privée est bien la garantie que le 2éme état (le papier) continue le 1er (la culture) ? D'ailleurs notre culture a trop pu dire d'horreur avec un mielleux sourire ! De vous en préserver vous fera toujours plus facilement penser. Voici les Telemosts pour vous en assurer ! Tout y est passé n'est-ce pas, enquêtes sur les familles, travail aux champs obligatoire, non considération de l'enseignement, que du travail physique et du sport, la litanie des plaintes comme dans Ogoniok, où il est vu que le soviétique n'est pas si passif, ignorant uniformisé qu'on le dit, mais bien, caustique, ironique, au franc parler mais toujours si impérieusement digne, il dit tout bien et prend ses risques hors de la langue de bois, on voit vraiment l'expression de la conscience individuelle en action ! Alors ? Serait-ce que la lutte soit la seule qui puisse élargir la société à elle-même ? La lutte est parfois ce qui devient aussi nécessaire que l'air pour que les quelques larges poitrines à l'air de la liberté est aussi nécessaire que la vie, puissent respirer. Il faut lutter ! La décision du Mossoviet d'introduire la vente des produits alimentaires sur présentation des passeports exclua 3 millions, de ceux venant, chaque jour de toute la région, faire leurs courses. Nova su prendre en main les courses de beaucoup de ces personnes s'en faisant des obligés, en les assumant à leur place, sans réserves personnelles. Dés l'annonce de l'augmentation des prix, ruée sur les produits alimentaires, ces enfantillages tragiques ne peuvent-ils seyer qu'à un pays où le puritanisme gouvernemental peut aller jusqu'à la virginité visuelle (protège les citoyens du porno quelque soit la classe d'âge. Pour la moyenne d'âge c'est le Moyen Age, dénicha Basil) ? Autre virginité visuelle, protéger la vue du style de vie des dirigeants : le petit bout de la lorgnette c'est tout de même qu'ils ne peuvent rendre visite à leur famille ou se promener sans but, hors autorisation ou garde du corps ; en dehors de sa "zone protégée", chacun observe la règle d'un secret d'état de polichinelle qui se prononce qu'ils ont tout, sauf de parader dans la masse, dont il faut "s'isoler", se cacher au maximum - les dirigeants sont donc "mis au secret" ! Même virginité visuelle pour les occidentaux dont il s'agit aussi de préserver les yeux - et malgré cela quels coups d'œil ils se permettent dans les halls d'hôtel, tout est à prendre, à vendre, se conduisent-ils en colonisateurs en liberté, la chape morale d'occident se dissout-elle si vite ? On a peine à croire que ce sont les mêmes gentlemen bien élevés, qui se hâtent, si courtoisement, dans la foule occidentale, y a-t-il quelque chose de putride dans l'atmosphère de Moscou, car avec leur regard de partouze ils prennent vraiment notre pays, et dans tous les sens du terme, pour un vaste bordel !

Bien sûr, il y a ce regard partout, fatigué, apeuré, furtif, curieux, défiant et plein de défi haineux, dédaigneux, ricanant et puis vorace, brillant d'un éclat vermeil, soudain aigu, tout un monde de sentiments s'embrasse en un éclair, pour s'éteindre aussi vite dans la désillusion générale, la passion toujours transparente dans le feu des regards omniprésents. Ne croire à rien ni à personne murmurent-ils comme des slogans toujours plus décolorés, on ne se fait pas d'illusion au royaume où tout serait caché, tu, non montré, virginal - cela semble étrange résultat : tous ne semblent voir que ce qu'il n'y a pas à voir, sans en rater une miette ! La preuve en serait dans la délation bien vue ou dans le soupçon imparable, dans le regard des volontaires bénévoles, les droujinniki ou membres de détachement, au brassard rouge, au sifflet mais sans armes, bien un demi million dans Moscou, pour maintenir l'ordre, savoir que la vodka est cachée dans les moteurs, que les putes sans hôtels traînent près des gares, plus facile pour la fuite dans tous ce brassage, toujours courbées sous les regards en coin des miliciens, soulèverait-elles que tous on est paumés dans la grande ville gloutonne, paumés dans une cage d'escalier sale et glacée, un porche, une cabine de téléphone, par terre, dans les cinés ou les jardins publics, contre une bouteille, un repas, les prix est à la pénurie pour qui le reçoit, et toujours sous les regards latents, serions-nous tous putes ?

Alors la pute on respire un bol d'air ? INSINUAIENT LES DEUX MILICIENS, mais maintenant fais gaffe, on entendra dire qu'il est arrivé un accident, une brique qui tombe sur la tête ou un maniaque qui te laisse en lambeau, lui souffla-t-il aigrement, en lui serrant le cou, tu plies, tu te saliras en dénonçant qui on veut hein, le regard là pour rabaisser au niveau de cloporte. Nova se dégage en écorchures, hurle, les deux s'enfuient, ils ne font plus que l'émergence du regard au douloureux euphémisme "la nature ne nous fait pas de cadeau", celle de qui ? Celle d'une réserve de mots si limitée et constamment répétée, slogan citation formule consacrée automatisme imposé, que seul le regard contredit, mais pas dans la joie évidemment ! "En Russie la pensée n'est pas seulement un crime mais un malheur" proposait, déjà en 1839, le marquis de Custine. Surtout rétrécie à ce point ! Elle erre, un rameau de lilas blanc à la main, sur les berges de granit, tandis qu'un "morse" se baigne dans l'eau glacée de la Moscova. Au loin passe un taxi "borgne" pour ramener tout le monde au commun le plus attristant. Drago et Mitzy lui passe le bras autour de l'épaule, la réchauffant, mais continuent de discuter.

- Plus moyen de se consacrer à une grande œuvre ! Liberté, justice sont ici des mots de propagande et non des idéaux auxquels on peut croire.

- Les idées "libres" sont celles qu'on emprisonne. Qui aurait les idées, les dictateurs, pas les hommes libres, ne peut-on renforcer le mouvement ?

- La liberté emprisonne la dictature ! au point où en sont les symboles, il ne serait que temps de tous les surutiliser, jusqu'à vider l'horreur que les symboles aient pu fuir la vie.

- L'horreur est qu'on ne peut se révolter contre un système qui n'existe pas. Ce qui semble donc moins grandiose, on ne peut se battre que pour le concret, la bouffe !

- Mais les idées ? risqua le "Tchéqpolbulyougroumhong".

- Lesquels ? Il ne reste aucun héritage culturel et tu voudrais qu'on le chourave à l'occident, qu'est-ce-donc qui le fait croire à ce point supérieur, le fait que tout n'y soit que comédie, jamais tragédie, le fait que la pensée s'y prélasse, puisqu'elle ne manque jamais de rien.

- Fallait-il que nous soyons si ivres pour surestimer toutes les valeurs.

- Alors la sobriété devient un défaut impardonnable, sauf si, dés qu'il y a trois questions, il n'y a plus choix ! Dialectiquement trop de sobriété serait donc à l'origine de trop d'ignorance.

- Nous sommes toujours plus et mieux au courant de ce qui se passe à l'étranger que dans notre propre pays. D'un côté info de l'autre toujours langue de bois. Du moins n'est-ce-pas une pensée hexagonale !

Le deux devaient avoir trop bu l'alcool des mots, ils se mirent à chialer l'un sur l'autre, figurant ma presque silhouette d'une dame-jeanne.

- La compassion est notre passion ! C'est à dire notre calvaire, jusqu'à pleurer une entière vie pour un inconnu. Même nos loubards, éloignés des villes par le passeport en de lointain microrayons, banlieue infâme, et dont le train est souvent leur maison, qu'ils habitent par bagarres, viols, vol, jeux, jusqu'à même jouer aux cartes un être humain, qui perd doit assassiner quelqu'un, qui a été désigné à l'avance, ne peuvent se débarrasser de l'infinie compassion, c'est le désolé  on t'as perdu aux cartes ! avant de le passer par la fenêtre, ou la porte. Le système sentimental ne peut jamais être évité, aussi la vie nous met les nerfs à nu, sans nous demander notre avis, ton système nerveux voudrait bien se reposer, mais impossible quand, de tous les coins de l'horizon, retentissent les signaux d'alarme, millions de sources de peur et centaines de milliers de générateurs de violence, plus le jeu séculaire du chat et de la souris avec sa conscience. Là aussi c'est la débrouille, on nous empêche de vivre pour les mesquineries, mais pour la grandeur et la gloire on se trouve toujours livré à nous-mêmes. L'âme slave ne doit rien au matérialisme ; l'intelligence rien aux idées, la praxis rien à la mafia. Toujours le souterrain système sentimental qui nous a guidé, personne n'en savait rien, personne n'en a rien su, c'est pour cela qu'il demeure toujours en avance sur nous, hors d'atteinte. Bref, pour nous, l'arc zen n'est plus une flèche, la philosophie nous rend ami ; l'accumulation des problèmes nous a rétrécit les solutions, penser a pu devenir comme un sillon, le débordement des malchances ne nous laisse plus que la chance ; nous ne pouvons plus nous rabaisser à répondre aux questions humanistes, c'est que le noir existe.

- Comment je n'en ai pas vu la couleur, alors dire s'il existe ! c'est que nous avons échappé à l'orgie matérialiste qui sévit depuis 40 ans en occident, et qui, parallèlement, étouffe toute spiritualité, on nous a tellement protégés contre ça, la table rase qui nous était souhaité si, en fin de comptes, ce qui nous est laissé, rien n'ayant pu être décidé, n'a été voulu, prémédité, encore moins notre dit système, résultat de la non programmation, la contradiction n'est toujours qu'apparente, quand même les penseurs occidentaux auraient du le savoir, et qu'y pouvons nous si notre esprit se voit contraint d'être libre, lui a-t-on laissé la moindre autre chance ; qu'il peut maintenant s'envoler, il a toujours connu l'état de parabole. Comme le disait un des fondateurs de l'école formaliste, Victor Chovski, au début des années 20, on ne peut "programmer" l'art comme le trafic ferroviaire "il doit" être animé d'une impulsion propre" et, en cette voie, il proposa d'organiser une "joute hambourgeoise", soit juger les livres en fonction uniquement de leur qualités littéraires, abstraction faite de leur valeur "sociale" de propagande, de fidélité à la ligne du parti. Et ce furent malgré lui (malgré le parti qui repoussa cette proposition avec horreur) l'ère non termine des samizdat, le tri du vrai intérêt par le danger, ce qui n'est pas autorisé est trop souvent bon, le tri par la difficulté, c'est qu'il faut le vouloir de récrire à la main, de s'imbiber à ce point d'un pauvre livre. La joute hambourgeoise est loin d'être finie ! Telle parabole si parfaite qu'elle s'est réalisée et dans le plus DUR de la réalité.

          Maintenant cet instant instinct de parabole risque de devenir parabolique !

 

(à suivre)

 

Vous pouvez lire et/ ou télécharger gratos sur freethewords.org , signet 1 tout le livre sous le même titre…

 

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Publié dans littératures

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