Fin de l'ère de l'information? Et si oui début de bilan (1)
"L'âge de l'information" n'a créé aucune libre circulation de la connaissance. Tout au contraire, et sans qu'il n'en ait été particulièrement conspiré, l'info tue vraiment le savoir. Comment et pourquoi?
Un monde où l'intelligence se mesure à la capacité d'amasser des informations qui n'ont ni contexte ni objectif, hormis leur seule propagation. Un monde où penser se rétrécit à poser des étiquettes et à se révéler à peine un magasinier du classement et du rangement. Un monde où montrer son sérieux dévie vers le tout Récréatif (la spéculation récréative, les médias récréatifs, détruire la vie des autres récréatif!). Un monde qui avoue, bruyamment, que la plus grande partie de l'humanité sert l'info avec servilité. La couleur était dite libertaire, la réalité est carrément servile. Qui n’est pas maître de sa tête finit esclave de têtes étrangères!
L'infantilisation collective devient donc plus qu'inquiétante. C'est comment l'info? Voyez comment ils jouent avec les informations, les disposent et les stockent comme des enfants ravis. Mais ils détestent les examiner, faire l'effort de les assembler en systèmes complets de compréhension. C'est pourtant cet effort qui produit le savoir!
L'âge de l'information va-il devenir celui de la destruction du savoir, comme de l'avenir de toute connaissance?
Le corps conserve le plus de mémoire et la restitue bien mieux dans la belle lenteur de chaque seconde offrant la suivante. Mais cette mémoire a besoin d'un environnement particulier. La sagesse scientifique a ouvert que l'intelligence provient de la mémoire et de son bon usage. Ce n'est pas une info mais une expérience. Nos corps nous racontent, ainsi, les fantasmes débutants de l'information sans limites, de l'information début de la toute puissance ou de l'information concrétisant la démocratie partout. Vous cliquiez sur Internet et, d'un seul coup, vous "accédiez" au plus vaste système de liberté, de vérité et de pouvoir. A chaque fois que vous cliquiez c'est comme si vous augmentiez la démocratie, la circulation des idées et le rapprochement de chaque humain. Belle féerie! L'utopie de changer le monde – toujours distribuée là où il ne faut pas et donc jamais distribuée là où il faut – a tout rendu pire. Isolement maxima de tout le monde ou regroupements purement fantasmagoriques, s'éteignant aux contacts du réel. Juxtapositions et empilement infinis des discours, assez convaincants mais s'ignorant tous – doublons de doublons de…- et sans aucunes recherches d'unités (donc rendant l'action impossible!). Les personnes se sont éloignées hors des horizons communs, les idées se montrent, structurellement, empêchées, blessées et entravées: l'info sans limites limite absolument tout le reste. La liberté de l'info interdit la liberté de penser, la liberté de raisonner et d'argumenter, de créer des concepts et de les faire connaître etc. La cage se montre encore plus rétrécie qu'avant…
Pour qui est resté englué "dans le cadre" l'échec semble bien complet. L'ère de l'information a gâché toutes les occasions d'améliorer la condition de chaque personne et celle de la planète toute entière. A lire cette phrase tout le monde comprend à quel point nous serions déjà dans une gestion écologique et raisonnée de la planète, en ayant commencé par "une écologie de l'esprit", en ayant allié action et info (une des définitions de la pensée!). Au lieu de cela, nous sommes relégués dans des boîtiers médiatiques sans issue, qui excluent tout dialogue et s'auto-admirent en permanence dans un irréalisme suicidaire. Dans ce contexte, triomphent de joies, d'extases et de plénitudes, celles et ceux qui (dans l'environnement hyper agressif et toxique du fanatisme de l'info-sait-tout) ont su préserver la faculté de penser.
Pourquoi l'info s'est pervertie jusqu'à tuer tout savoir? Ca a commencé par "l'info c'est ce que l'on cache aux autres", c'est ce que "l'on garde pour soi": le très inverse du partage des savoirs et de la mutualisation des connaissances. Facile de percevoir que ces deux routes divergent radicalement. Comme divergent leurs méthodes. L'info sature tout, a tout envahi surchargé, obstrué, bref, pris tellement de place que l'idée même d'une alternative s'est effacée des cerveaux aliénés. Sans miroir, sans fou du roi, sans parole autre- vous êtes"perdu". Dans ce contexte l'info aide-t-elle? C'est juste un éclat incohérent, éparpillé comme après une explosion. Voir n'est pas savoir. L'info brute n'avait jamais eu de sens: il fallait l'intégrer dans la structure d'un savoir. Il fallait la travailler de telle façon qu'elle se relie à l'ensemble des connaissances existantes. Il fallait la soumettre aux feux croisés des arguments. L'information ne sait que suivre, elle ne peut précéder: sa nature est parasitaire non de source. C'est un outil, un composant, pas le plan ni l'architecte. Or elle s'est emparée de l'illégitimité de guider, de trier le vrai et le faux, de définir les qualités des individus, de les condamner dans une régression barbare de la justice ou d'instruire sur toute chose. Imposture dangereuse!
Pourquoi. L'info le plus que primaire? Le magma du non-sens? Informe, dit le mot, soit sans forme personnelle, entièrement malléable, donc apte à toutes les manipulations, tours de passe-passe et conditionnements. Informe. N'existant pas par elle-même, mais dépendant entièrement du caméléon de l'environnement. Un changement perpétuel que rien ne peut fixer: ontologiquement, l'information "n'existe pas", elle flue. Si on ne peut en définir la forme, c'est qu'à peine ébauchée, personnalisée, elle appartient au très collectif et à l'indifférencié. Le défaut c'est qu'in-forme, sans forme, sans structure forte, sans configuration propre, la forme s'y déforme, conforme, difforme, réforme, bref, accepte toutes les formes sans en opter pour une seule. La confusion y règne sans partage! La perte de l'immensité artiste de l'Humanité y perce aussi: informe reste disgracieux, refluant loin de toute grâce, don, bienfait, élégance ou culture. L'info n'est pas capable de la moindre esthétique. C'est un entassement insensé, une accumulation sans contexte interne, un hypermarché sans but autre que le chaos collectif.
Toute personne qui crée n'éprouve, en général, aucune jalousie. Cette perte de temps. Le règne de l'info semble, principalement, basé sur la jalousie et le dépit. Souligner que ce n'est donc pas envie niaise que de décrire que ce qui prend toute la place empêche l'émergence de ce nouveau si urgent. Personne ne veut de "leur place": elle vaut moins que rien, ils se sont fait avoir. Mais ils "occupent" illégitimement (et avec tant d'incompétences!) une aire essentielle. Celle de la pensée. La vraie, celle qui raisonne et argumente. Qui nous laisse, en pleine visibilité, l'armature de son cheminement. Que tout un chacun peut, démocratiquement, revisiter. Si nous nous en sortons, ce sera, massivement, grâce aux écrits et à qui aura su demeurer indépendant et continuer à penser sous les bombes infectées de la folie collective.
Donc triomphe qui a protégé, en soi, la merveille de raisonner. Mais l'écrasée majorité (si peu aimée par ces infos-déformateurs) subit une dramatique perte. Puisque si terrifiante se profile la privation. Comment vont-ils ressentir la période intermédiaire? L'info ne vaut rien sans le savoir qui vaut tout. Comment a détraqué les individus, l'information, en les faisant tant régresser – oblige à se poser des questions. Les pathologies de l'info, non encore listées, s'étalent clairement. Avec des tendances à l'hystérique autoritarisme qui ne "supporte" plus rien et aux illégitimités flagrantes. Au nom de l'info combien de censures et de diffamations? Combien d'impostures et de prises "d'autorité" fondées sur rien? Combien d'irruptions abusives dans la vie d'autrui bardée d'un réel esprit flic et inquisiteur ? etc…Son implosion imminente choisira, immanquablement, la facette puérile!
Puisque le fonds de l'information (qui ne saura jamais rien) c'est bien de répéter, d'ânnoner, de rabâcher, de reproduire ou de ranger, aligner et classer. En aucun cas, de créer, d'innover, d'engendrer, de produire ou de perpétuer. D'un côté (l'info pervertie) vous n'obtenez que monologues étanches, refus frénétiques de tout débat, infantilismes ricanants, inaptitudes à présenter des arguments structurés et que n'importe qui puisse revisiter…etc
De l'autre, cette si visible joie de qui, en pensant, a atteint la plénitude. Ainsi que les moyens de la transmettre aux autres. L'information, pire que fantasmée, nous a conduit à une impasse du fait de sa monoculture destructrice. Principalement, ce seront des penseurs, écriveurs et parleurs, agissants et unifiants, qui nous sortirons de l'ornière où l'information (ce sommet de la bêtise et du solipsisme, il n'est que d'en voir ses servants!) nous a réduits. Ce n'est pas parce que l'information, au départ, possédait de réelles promesses et qu'elles les a, toutes, gâchées, que cela l'a prémuni de la gigantesque peste actuelle qu'elle est devenue. Pas de pire ennemie de l'Humanité et de la société que l'info folle!!!
(à suivre)
Comme tous nos écrits, nous pensons entièrement par nous-mêmes. En nous inspirant, parfois, d'autres travaux de tous horizons et peu relayés: ici la science fiction de Caleb CARR dans son "Killing Time", dont nous avons utilisé les pages 72, 78 et 287 de la traduction de Jacques Martinache aux Presses de la cité.