Remue-ménage (1ère partie)

Publié le par imagiter.over-blog.com

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A l'à pic des écrasants gratte-ciel, masques aveugles de verre, aplombs silencieux de béton, ou toboggans vertigineux d'acier, qui font sauter de la tête son centre de gravité lorsque tout appui est ôté soudain à la nuque ; perspectives hallucinatoires dont la hauteur même fait perdre aux yeux la notion des angles, jusqu'à ce que l'effleurement si léger de l'ombre rétrécisse toutes les rues à n'être que fêlures irréelles-plus rapetissés encore, s'agitaient deux tout petits points diminués de noir.

- Je ne veux plus te voir ! se vêtait Doll de son dédain.

- Mais je t'ai tout donné. Jusqu'à tout perdre, surmonta Bill, dont la veste élimée ou la chemise trop portée représentaient, pour l'heure, toutes ses "affaires".

- J'ai d'autres projets maintenant, s'estompait déjà Doll.

- Tu ne peux pas me faire ça. Pas aujourd'hui. Laisse moi une dernière chance au moins Dollie.

- Never give a sucker an even break ! se dit Doll ; il faut absolument que j'y aille, sorry éluda-t-elle en tournant les talons.

- Je te retrouverai, la poursuivit Bill de sa voix, tu ne peux pas me laisser tomber !  je t'aime moi, je t'aime !

Pesamment il se mit à marcher, comme s'il avait toujours erré. Dépassant les trop grands panneaux publicitaires qui gardent les nouveaux immeubles de la 42éme, qu'aussi surveillent les "lobbies", ces sas tape à l'oeil des autobus qui séparent de l'extérieur et interdisent de savoir ce qui se passe à l'intérieur. Chaque particularité sera une particule perdue dans l'atomisme de New York !

Cette ville qui ne s'est pas cherché, pas trouvé de centre. Ne s'est offert que des performances symboliques, ésotériques, les gratte-ciel, qui occupent la conurbation sans y jouer le moindre rôle de dynamiseurs, d'animateurs de la vie collective. Chaque gratte-ciel après l'autre n'y a été conçu que comme un tout centré sur lui-même, une parure de la fureur narcissique, introvertie  ; et non une tentative de reconnaître, puis de s'affilier à un dehors, un extérieur. Hors dedans pas de salut ne viendra de dehors !

Tel il a été voulu ; des rues tracées en damier, chiffrées, sans personnalité affectueuse, sinon monétaire, qui ne joignent rien si ce n'est une forêt de projections verticales, fuyant moins et retombant, retombant plus, dispersant le pouvoir comme le pied dans une fourmilière-de toute leur hauteur nous méprisant au son du pouvoir il est dedans, délimitant les ghettos-les ghettos c'est tout ce qui est dehors, vidé, expulsé du dedans-comme s'ils craignaient tout centre de pensée. Pensée ? NOUS gratte-ciel on a tout gratté. Tout gratté jusqu'au sommet. De nous tombe l'ignorance définitive de tout ce qui n'est pas à l'intérieur de nous. On vous jette juste ces rues transitoires entre les introversions désormais obligatoires. Au secours ! Faut quand même se replier. Se replier sur soi-même. Hors de nous même nous mettrait en dehors !

Sauf peut-être, cette 42éme qui coupe la mégalo dans le sens de la largeur, d'une rivière à l'autre, "joignant", rejoignant ce qui échappe au symbolisme mortifére par ce qui coule de source (car enfin toute pyramide n'est qu'un tombeau). bill y traînait ses pumps essouflées, comme sa Doll toujours recherchée.  

 

Doll déjà installée près de la piscine à instiller ou distiller les vagues toujours recommencées de sa consommation détendue. Doll n'a besoin de rien puisqu'elle a besoin de tout. Mais qu'est-ce que ce jardin qui n'est qu'une pelouse saupoudrée de quelques arbres en kit ? Son jacuzzi, par exemple, c'est en arnaquant une fois de plus un homme qu'elle l'a eu. Elle devrait y être bien. Non elle s'ennuie ! Pourquoi ? Doll n'a aucun but : aucun autre but que d'éplucher les hommes comme des oignons, évidemment il y a quelques larmes. Mais ce ne sont que des irritations. Tout s'irrite d'ailleurs ! Il lui faut ranger les objets pour la langueur de ses membres, même le Betamax. Il lui faut classer les êtres : c'est là la classe, il faut les classer l'air de rien : c'est la lutte de classe qui s'ignore. Vu ce qu'on leur refile en classe ! Les livres n'y sont que des banques, des pages de billets de banque. Seule compte la couverture au royaume où uniquement les "succès stories" importent  (quoi d'ailleurs ? qu'importe ! n'importe-où c'est pareil ?) Seul le succès motive : nothing succeeds like success. Sans jamais lasser. Alors pourquoi Doll se sent-elle si souvent lasse ? Il faut qu'elle ait des histoires : aligner les arnaques légales de mecs qu'on appelle divorces aux U.S.A. est un succès, des histoires à raconter, à montrer. Mon jacuzzi et mon jardin d'hiver c'est mon deuxième... Etc... Il faut aligner ses possessions style mon psy, mes boys friends, mes cartes de crédits, mes téléphones... Etc.. Il s'agit d'aligner ses expériences, quelques back rooms, quelques rails, quelque voyou ! you ?... Etc... Il faut les aligner ses références : avoir l'étiquette de l'étiquette, la griffe qui a lacéré le coeur aussi, la bonne marque et à vos marques ! prêtes ! la course stupide à l'inutile luxe ? est-ce que je "porte" ce qu'il faut (en plus il faut porter !) ? C'est qu'il faut toujours plus ranger son être selon la basse musique j'ai, j'ai, j'ai. Je suis serpent bronzé nippé Fiorucci et prêt à tout prendre sans apprendre !

Tout cela et encore cela tout. Mais surtout que ce ne soit pas, non pas, détruite cette porcelaine par le museau de la réalité qui pointe ! Pas de reproches, de chapitres à chapitrer, faut pas râler, pas de réprimandes, pas montrer de remontrances, faut pas me cahoter, pas de critiques, pas de querelles, faut pas me secouer, me bousculer, faut jamais m'engueuler. Tout le reste est supportable, mais jamais la critique.

"Mind your mind !" lui répétait Tin, dernier humain à frôler sa vie. Mais AUCUN mot n'a de sens, ne veut rien dire pour qui dire est rien ! Seule compte la liasse de dollars, pour Doll. Pour trouver cette autarcie, si chère aux romains : ne dépendre ni des êtres ni des choses ! Le hiatus c'est qu'il ne vaut mieux pas le pratiquer à l'envers ! Comment se dépendre des choses quand il y a tant de noeuds coulants ?

Le téléphone strida.

- Helo Genuine, comment va ?

- Merveilleusement ! Je reviens de Loehmans, j'ai trouvé pour 200 bucks de trésors de sapes.

- A ce prix là elles doivent être géniales.

- Sûr ! J'ai en vue une fourrure à 500, je te dis que ça ! Et toi Doll ?

- Oh ! J'ai changé de collant !

- De quoi ?

- Oui de mec, de collant quoi !

- Ah bon ! T'en as de ces expressions toi !

- Realistic ! Je te laisse, bye !

Le tout sirupé entre ces deux visages encore gonflés de corn flakes et d'enfance insonorisée. A faire perdurer ces conversations à saveur de compulsives maniaques. Cette suffisance qui leur suffit de tout ! Au pays de la valeur qu'est-ce que je vaux ? Tout ce que j'ai et même tous ceux que j'ai... EU ! arnaqué ! Uniquement ! Pourquoi donc ce rangement mental voulez-vous y introduire le changement ? "Si tu veux tu as le droit de le faire " reste un dicton affairiste qu'il est recommandé d'utiliser dans sa vie personnelle. Pour réussir. Alors je vaux je veux ou je veux je vaux ? Le volontarisme affairiste ne sait-il pas plus aligner les mots que les jouets des tests psychologiques ? Sinon comment se dépendre des êtres lorsqu'il y a tant de noeuds coulants ?

Pas facile l'autarcie à la romaine !

Bill avait épousseté ses pieds toute la journée. Pour le moment, il vacille dans une ruelle sombre du Bronx, sans doute entre Tremont et Melrose. Il venait de dépasser quelques épaves de bagnoles où croupissaient quelques bums, des îlots de pneus pour faire mangeoire. Il ne gardait que sa Doll dans les yeux : ne regardait rien d'autre ! Et ne songeait pas plus à la gangrène des gangs qu'à un dim. S'ils sont aussi bien les ganglions, les glandes de la ville, les lions des gangs-Bill semblait s'en battre l'oeil. Il n'avait même pas remarqué, un block avant, ces trois Y qui avait étrillé ce grand type qui sortait ses deux copines.

- Dégage, skip it, et laisse nous tes filles.

- Bande de minables, vous allez voir, tenta-t-il, mais un des Y le frappait déjà dans le dos et le second lui dessinait la veste d'un Y sanglant ; le dernier, faisant tournoyer sa chaîne, le fit splitter dans l'angle. Malgré les hurlements des filles, ils les embarquèrent sous un porche propice. Bill avait-il entendu ?

- Eh toi surker, on a un mot à te dire, l'entourèrent quatre N. Bill fendait toujours son aveugle route. Comme sa lèvre soudain ; telle une menace avait été interprétée sa trajectoire. Au deuxième coup il tituba, et deux N, lui maintenant les bras en arrière, les deux autres lui égrenaient des coups dans le ventre.

- Eh pourri, tu vas nous dire où sont ceux de ton gang ? Qu'est-ce que vous avez fait des filles ? Crache sinon tu vas cracher tes dents !

Dans son hébétude, Bill ne s'était même pas aperçu qu'un des Y, plein d'humour, lui avait filé, sur les épaules, un blouson à leur signe.

- Je cherche Doll, ma  woo-man, tenta-t-il d'expliquer.

- Ce n'est pas lui ! haletait le grand type, conservé sur le côté, pas lui !

- Comment tu avais parlé de la bande des Y, glapit un des N en raflant le blouson.

- Pourquoi vous me tapez dessus ? J'ai rien fait, je cherche Doll, commençait à s'interroger Bill, le souffle coupé et sifflant.

- I.D.Quick ! sortit sa plaque un des N.

Lorsque Bill les eut extrait douloureusement, celui-ci griffonna vaguement sur un carnet.

- On fait un sting, alors t'écrase, t'as rien vu !

- Mais c'est quoi un sting ? se frottait les côtes Bill.

- On doit nettoyer les blocks de gangs qui attaquent les mecs, les blessent mortellement parfois, et enlèvent les filles pour les violer et les tabasser ensuite. Alors on se déguise, c'est pour ça que tu dois la fermer ! Et maintenant get lost, lui postillonna-t-il en lui fourrant ses papiers dans la poche.

Les undercover s'étaient créé des personnages de gangmen, dans la peau desquels ils pouvaient sillonner tous les blocks en attendant le flag. Afin de nettoyer tout le quartier, ils avaient monté un scénario de mimétisme, gris comme les murs, déguisés comme les trottoirs, lamés comme des lames. Seule compte la couverture au royaume où seules les "success stories" importent : les undercover l'avaient pigé, et, imposteurs professionnels, ils commençaient à tirer toute la couverture à eux.

Cette agression-régression n'était qu'un sting, une arnaque, digérait amèrement Bill.

Le "déguisement" endosse pourtant que c'est parce que plus personne n'a rien à se dire que fleurissent les gangs dans les rues. Au royaume de l'objet on a plus rien à dire ! juste à se dire prend sans te faire prendre ! Action ! Aussi pour illustrer cet état de choses, c'est le cas de le dire, le gang qui semble avoir tout bien saisi, fait de l'activisme de macadam, agite son trottoir de turf, décline son territoire, son cri de bête qui redit juste ce qu'il y a à dire, ses signes animaux distinctifs, sa reconnaissance qu'il marque du poing ou du couteau sur les corps, traitant ainsi de son mieux les humains comme des objets. Le refoulé fait toujours son retour ! Les rues délaissées sécrètent les animaux qui vous hantent. Il ne suffit que de le désirer pour qu'elles revivent. Mais rien n'est plus dur que le désir : qui va commencer ? Les femmes ne semblent plus rien "deviner" et les hommes avoir la trouille de désirer devinez quoi ?

Assis sur la berge de l'East river, Bill en était rendu à se souvenir. A lui et Doll lorsqu'il l'avait installée au Lower East Side, à l'angle de la 9éme et de l'avenue D. Où vivait-elle maintenant ? Comment la retrouver ? Ce matin la chance lui avait fait un sourire jaune. Elle l'avait pourtant toujours gâté, cela lui semblait si lointain, le temps où l'imagination débordait. Que n'avait-il pas osé pour lui montrer sa flamme ?

Amadouant la torchère Bill l'enflamma et, zigzaguant, mit le feu aux autres tonneaux, qu'il avait soigneusement disposés pour former le dessin du beau prénom de son aimée. Divulguant à tous yeux qui il adorait et pressentant que Doll serait charmée, puis reconnaissante, d'être ainsi glorifiée à la face de l'entière ville. Et puis le danger de le tenter : il ne pouvait prévoir les conséquences, qui de la T.V. ou de la police serait la première ? Mais le beau doit être excessif, et de sa fenêtre, Doll pourrait d'autant mieux savourer la grâce de son prénom enflammé. Et peut-être jubiler de le voir sur le channel : une gigantesque fête préméditée pour elle toute seule, l'attroupement, les cris, toute l'animation, l'admiration ou l'envie pour qui sait déchaîner un tel brasier. Tout s'étant passé presque ainsi, Bill s'était sympathiquement fait arrêter et les manchettes des journaux avaient titrés "How Bill blazes Doll". De tout cela elle avait été très fière, mais pas particulièrement reconnaissante.

San le savoir, Bill avait de nouveau rassemblé la collectivité autour d'une "nouvelle frontière" galvanisante. Même si ce n'était que pour quelques minutes. C'est que la notion de "popularité" est très importante ! Même si on vous tourne rapidement le dos dés que le baromètre baisse. C'est que la popularité indique un "effort social". La compétition pour l'approbation des autres doit se faire incessante ; ne serait-ce qu'en demeurant toujours attentif aux faits et gestes des autres. Chacun doit assumer sa campagne électorale permanente. Afin de convaincre tout le monde qu'il veut réussir. Réussir c'est toujours remercier la collectivité. Révélant quelque peu la trame qui tisse ces Etats Unis. Il c'est toujours agi d'obtenir le maximum d'un groupe de gens qui ont besoin les uns des autres. Pour cela dénicher les rites, les mécanismes qui conviennent à l'intérêt du plus grand nombre. Aussi est accepté le principe d'un exercice de censure morale par le groupe, une autorisation de contrôle sur chacun ; avec le corollaire de soumission à l'autorité transcendante du groupe. La contribution personnelle c'est que chacun doive participer au groupe : en faisant abstraction de sa propre personnalité. Se surveiller et surveiller ; afin de réduire les différences individuelles : c'est ça "l'égalité" pour l'américain. Arthur Miller dans "Les sorcières de Salem" n'avait-il pas bien décrit ce phénomène si prégnant ?

La vie en commun et l'interaction avec les autres prendraient-elles l'apparence d'une fin en soi ? Ce serait sous le rythme trépidant de la compétition : il est obligatoire de faire toujours mieux et plus grand que le voisin, mais aussi signer sa peur de l'isolement. On se déplace toujours en groupe : ne pas avoir de compagnie prouvant d'ailleurs que l'on ne sait pas se faire d'amis, donc qu'on est pas sociable. Tout se tient dans cette nasse. Les lieux publics se multiplient comme les familiarités.

Les relations humaines s'instaurent et se dissolvent aisément. Toujours sous la couleur du passage abrupt de la familiarité totale à un complet détachement : l'étrangeté de tomber dans l'étranger. Bill se souvenait qu'enfant, il devait toujours faire plus, être le plus fort, le plus intelligent, le plus mignon, être le mieux vu dans son équipe. L'amour des parents est accordé sous condition : le premier en a plus que le dernier ! Entraîné à prendre en compte les indices quantitatifs de ses parents, Bill pigeait qu'il n'avait qu'à aligner les chiffres de façon si évidente et convaincante que ses parents se voient obligés d'accéder et céder à ses exigences. C'est bien ça la "réussite" : tous ses symboles sont uniquement quantifiable (même amour) et la course définitive commence dés l'enfance. Seuls les égoïstes sont censés avoir du caractère ; ils peuvent exercer le pouvoir-à l'inverse du plus généreux considéré comme faible ou carrément idiot.

Fallait-il savoir que la structuration de la famille est matriarcale, du moins "matrifocale" ? Que la femme veille au respect de la morale pour l'homme et les enfants ? A la différence de l'Europe où l'homme incarnerait et défendrait morale et tradition - la femme américaine serait gardienne de la morale : la sainte patronne des pénates ! Mais qui sont "les vieilles filles de la révolution" ? Les tâches sociales des deux sexes seraient bien plus interchangeables et la division des tâches familiales moins tranchées qu'on ne le croirait : comme l'homme reconnaîtrait plus l'égalité de la femme à tous les égards qu'il ne serait dit ? En échange, eh bien il doit "réussir", toujours faire monter le niveau de vie. Et plus vite que ça ! Tout est uniquement quantifiable.

A la vue de tout cela il paraissait plus facile de comprendre la prémisse de "l'égalité" américaine. Faut restreindre les libertés  Au départ il n'y avait pas même dons biologiques et pas mêmes atouts sociaux : la Société devait contraindre à paraître plus semblable. Pour rendre les gens égaux il faut restreindre leur liberté. Ensuite l'individu ne peut rechercher "que" l'évolution personnelle la meilleure pour lui : il doit constamment veiller à l'image qu'en ont les autres pas trop de différenciation ! L'égalité passe avant la liberté ! Ainsi pour prévenir les rencontres entre inégaux tout un armada de dispositions administratives et privées sont prises : les rogues secrétaires veillent aux portes des patrons, les membres des hautes classes se cantonnent dans des clubs privés, quartiers résidentiels et réunions très fermées... ETC. Tout pousse à ne pas provoquer de rencontres entre inégaux. Et même en ce cas, toutes les apparence d'une franche familiarité entre égaux s'étalent. D'où le nécessaire pendant perdant : la très grande suspicion à l'égard de tout écrivain, philosophe, chercheur même de sciences - pure - toute contribution originale est d'abord ou ignorée ou raillée. Mais c'est vouloir échapper à toute discipline, à l'influence du groupe ! Et toute idée nouvelle ne peut-elle créer de conflits entre les hommes et des situations imprévisibles ? Quelle horreur ! Et si une particularité dévoilait le pot aux roses ? D'où forte pression du conformisme : pour faire plaisir aux dames ?

Mais enfin pour que le Système bouge encore faut-il valorisation du mouvement (et pas du changement) ? Ce sera donc la "mobilité sociale" incessante. Qui n'est cependant possible que s'il est reconnu que l'on peut changer d'opinion, de travail, de mari, d'épouse, de lieu de résidence, comme de chemise. Et que ce n'est pas du tout un fait d'instabilité, d'inconséquence, de manque de suite dans les idées. A la différence de l'Europe, dit-on, où les pensées et les sentiments comptent, l'américain considère qu'il peut changer, se contredire selon les changements d'activités. Faut mieux aussi éviter les émotions intenses et persistantes, ça doit rester éphémère, feuilleter les êtres comme des choses, d'une certaine façon il ne faut pas être "attaché", afin de préserver sa liberté d'action, sa disponibilité au mouvement ? Il faut toujours rester en "alerte" par rapport à  soi-même et aux autres : il faut "réussir" ! Méditer, réfléchir ne permettent pas de garder l'alerte : ça peut conduire à un rétablissement des liens avec le passé ; et on n'est plus dans la course. Non il ne faut vivre que dans le futur à l'aide de projets gigantesques, mais vagues pour le présent, il s'agit de garder l'indépendance jusqu'au bout. Alors faut tout simplifier au maximum pour l'action : c'est dans l'action qu'on exprime ses sentiments et ses pensées, en les proférant sous forme d'activités. Mais il faut courir toujours, en montrant tous les signes extérieurs de l'anxiété pour prouver aux autres que c'est pour eux seuls qu'on réussit. Il faut persévérer dans l'inquiétude mais il ne vaut mieux pas avoir trop d'imagination, cela pousse à l'imprévisible. De toute façon on ne juge que par les actes, soit le code de leurs apparences ! Le léger problème c'est qu'on est devenu incapable de réfléchir à ses prémisses culturels, d'associer librement les mots et ce qu'ils disent, qu'il n'y ait guère de temps pour intégrer les expériences vécues, de tout assimiler en profondeur - il arrive de ressembler à un paillon à la quête pour toujours insatisfaite, à tout feuilleter on ne peut plus connaître les humains, à tout quantifier on ne connaîtra jamais la qualité : and where is the quality of equality ? Juste s'ajuster à l'environnement avec tendances automanipulatrices sur soi-même ? Un comportementalisme mécanique ?

A l'évidence dans "la régulation interne d'un système supra-individuel" qui ressemble comme deux gouttes d'eau aux lois du marché. Et non à "un système externe de contrôle par opposition", comme en Europe, qui ne ressemble donc pas aux lois du marché. Quelques éléments de cette analyse se trouvant dans "Communication et société" de Baseton et Jurgen Ruecsh ; Bill se mit tout de même à faire remarquer que personne n'a jamais signalé que les éléments de ce mécanisme : socialité, égalité, réussite, mouvement, existent bien dans la société soviétique, surtout dans les interactions plus que dans leurs apparences verbales. Les ingrédients sont les mêmes et la cuisine diffère. "L'égalité" à la sauce russe. Il ont ainsi les mêmes "sorcières de Salem" ! 

Bill avait bien cru un moment lire tout ceci dans l'article sur le blazing gift ! Le soupçon de Lettres persanes s'était même insinué en son esprit. Qui le faisait marcher ? Des jours déjà. Bill en était arrivé aux pieds de "la liberté éclairant le monde" de Bartholdi. Cette femme, colosse de pierre, qui nous tend envers et contre tout la flamme de la liberté, pour éclairer éternellement le chemin des femmes et des hommes. A croire qu'ils s'égarent hors de cette lumière puisqu'à l'autre bout du bras baissé se tiennent les rouleaux de la Loi.  Peut-être serait-il temps de faire basculer le mouvement ? Le bras des rouleaux de la Loi (mais laquelle ?) ne baisserait plus les bras. Et se relèverait donc le tendant fièrement. Et celui crispant le flambeau viendrait prendre sa place ? Le flambeau ? Ce serait alors le feu au cul ? Car il y aurait urgence. Pourquoi ? Le flambeau de la liberté c'est bien de l'allumer ; mais rien dans la vie sociale ne le permet ensuite ? Si la liberté n'est qu'une course d'obstacles avec en plus tous les handicaps ? Ce n'est plus un flambeau mais un beau flanc qui le prête à tous les abandons. Combien de fois en une journée doit-on abandonner sa liberté ? Et pourquoi ? Même pas pour une meilleure égalité, pour de meilleurs rouleaux de la Loi ? Bref la statue de la Liberté programme que la liberté doit demeurer statue. Immobile ! en détention, lointaine, c'est fait pour regarder, pas pour toucher ! Et ainsi son rêve de pierre, comme celui de Mallarmé, peut tendre un flambeau de pierre en toute liberté. Sa liberté est celle des symboles. Pas celle de la réalité ! Pour les U.S.A. leur pays "éclaire le monde" et donc ils ont de fortes tendances isolationnistes - selon la théorie de Monroe (oui celui du nom de Marylin !) - Défense, angoisse, refus de l'Autre : c'est très éclairant non ?

Bill l'avait-il ressenti ce jour où il avait fait réaliser de gigantesques peintures murales à l'effigie de sa bien aimée, ou celui de la sarabande de banderoles dans le ciel exultant toutes "Doll I luv you", ou encore celui où des hauts parleurs avaient cité tout son amour, ou ces pancartes dans les défilés et manifestations à tourner en rond jusqu'à l'expulsion, aussi la distribution de chatoyantes publicités offrant le téléphone de Doll en échange de quoi toute la population se devait d'avertir Doll que Bill n'arrêtait plus de l'aimer, des orchestres vinrent accompagner les sonneries, des démarcheurs ornant tout son environnement d'autocollants à la même légende, des bouquets éternellement recommencés et tant d'autres essais qu'il avait l'art de tout oublier - Bill l'avait-il ressenti ? Débordant de tant d'activités il n'avait pas eu le temps de voir pour ses autorisations, il s'en excusait. Mais cette fois ci "ses initiatives privées" n'avaient pas du tout semblé plaire. Tout juste un petit peu à Doll, si peu ! Comment donc trouver ce qui décoiffe quand on surprend ce geste vital qui se recoiffe et sur le charnier se trouve très-belle-merci ? Ses ennuis avaient commencé. Et pas qu'eux !

La seule chose pour laquelle Doll se fatiguait beaucoup c'est marquer ses droits ! Elle en défend le moindre millimètre, griffes et ongles dehors, cette méticulosité à scruter au microscope tout empiétement sur son territoire, cette hargne à toujours crier, sortir de sa voix les accents les plus aigres - ceux qui mettent mal à l'aise et qu'on désire éteindre le plus rapidement - Cette action pointilleuse, administrative, maniaque d'être pire qu'un douanier, d'ôter toute ambassade dans ses phrases dures "Dégage ! ", de lancer toutes ses troupes d'assaut face à l'ennemi qui le devient s'il salit par sa présence les frontières de ses droits. Qui pourrait encore la fréquenter ? De son exigence de liberté minimale qu'elle entendait faire respecter, elle l'avait gonflé jusqu'à l'inacceptable "le mec doit dorénavant s'écraser", absorbant toutes ambitions de l'égocentrisme comme le trou noir les étoiles alentours.

Ayant enfin atteint ce stade terminal, comme son amie Genuine, où le nombrilisme se dissèque en mille facettes afin de perpétuer le fait de ne se préoccuper que de soi même. Impossible de remanier son organisation personnelle, ses habitudes pour les adapter à la présence de quelqu'un d'autre. Ainsi le fallut-il pour l'absence ! Genuine l'avait bien initiée entre sa gymnastique rythmique, son cambridge diet, les crèmes antirides, les sapes "à au moins 50"...etc, partout en règle, partout à jour-à l'impossibilité d'aimer. Elle lui avait fait lire les revues Savvy, Matrix (de Boston), Working woman, mais aussi les plus masculines Fortune, Money, Business report-où Doll avait grappillé quelques phrases d'exclusion, quelques nouvelles exigences exclusives. Ainsi l'homme se doit de n'être que caring "affectueux mais PAS exigeant", faut le faire. Le double standard, l'idéal définitif "avoir" son autonomie financière mais "aussi" des amoureux transis (on les a "eu" ! ), la crédibilité dans ses activités mais le maintien des principes de la galanterie masculine. Tout en sachant bien que "la galanterie est le complot sournois pour maintenir les femmes en esclavage" c'est vraiment à l'homme de se débrouiller. The personal is political ou la "politisation" complète de toutes les relations personnelles. Impossible de laisser passer le moindre détail, c'est un grill, t'es grillé, c'est pour leur bien aux mecs, juste la double contrainte (double bind) t'as tort d'avoir raison, c'est un affront, un complot prémédité et mesquin, mais si tu as tort t'as pas raison...etc. Mais encore l'hétérosexualité c'est l'influence de la mentalité patriarcale : infiniment intéressant - ce qu'il y a de mieux c'est ce qu'il y a de pire. Et autres démonstrations sans réplique à pivot de raisonnement du style "dégage" ! L'homme serait un allié : mais contre qui ? quoi ? L'entente des sexes : mais sur le dos de qui ? Quoi ? SINON QUOI ? La ségrégation c'est surtout masculin : faut voyager pour vérifier. Quoi ? Mais quel bât blesserait la femme ? Les équipements collectifs : mais le collectif ça s'apprend justement ! collectifs preschool ou centres de soins avec service de cuisine prêt à emporter pour le soir ça s'invente ça ne s'insulte pas. TU ES DEPERSONNALISE T'AS OUBLIE DE NE PAS ME critiquer trouve-t-elle alors. Réponse à tout question sur rien !

Doll aurait pourtant du songer aux impasses de Genuine réduite à ses one-night-stand, son casual sex ; puisqu'intransigeante sur ses principes, dés que son abstinence la lasse, elle se jette dans les bras du premier venu - c'est souvent le pire ! Combien de chouettes mecs Genuine n'avait-elle pas ainsi raté, SE confortant dans la déception du hasard, à persévérer, à renforcer ses opinions hallucinatoires. L'absence de relation intime, confiante comme revers de sa médaille stérile. Mais c'est que les hommes sont devenus (incroyable!) trop exigeants, trop difficiles, trop peu fiables, grâce au féminisme auraient-ils appris à se débrouiller ? Le simple fait que les hommes disparaissent : en 1984 - 21 millions de célibataires pour 30 millions de femmes, ne peut pénétrer dans cette logique. Genuine avait changé les règles de la vie sans  demander leur avis aux hommes, ils avaient changé d'avis en la laissant avec ses règles de vie unilatérales : c'est si simple ! Mais non Doll préférait toujours ce regard de défi, guerrier, inquisiteur, meurtrier. Pourquoi jamais un regard tranquille, serein, reconnaissant, apaisé, amusé, détaché sur les autres humains ? Non depuis que l'épanouissement de la femme est devenu une fin en soi c'est plus très fin. "Etre son propre maître. Mener sa vie comme on l'entend" Mais qui écoute ? Que faut-il entendre ? Quelle est la musique ? les mots ? Ainsi la femme dévoile à l'homme ce qu'il veut. Comme on l'entend c'est à dire être sourd. Comme on l'entend être sourd à tous les autres. L'homme doit-il désormais prouver son amour en reniant le reste de l'humanité ? D'avoir découvert ça bat tout le monde dans ce domaine, "tout sera fait pour qu'on ne s'entende pas"  semblent-elles dire ? Family outlaws ! Bill s'était épuisé dans ces conversations "expulsives" ; où il se trouvait toujours être l'accusé, le condamné même pour des choses qui ne l'intéressaient franchement pas en plus, ayant sans arrêt escaladé cette carapace étanche, ces tirs de barrage unidimensionnels, cette demande violente de preuves par la simple disparition du sujet : en parallèle avec cette pensée de rejet, Bill s'était de plus en plus fait rejeté, jeté. Doll lui aurait même dédié un texte. "Les mecs ça se jette comme un slip en papier, un emballage utilisé, une attente sommaire, 1 ticket de bus, 2 de métro, une pelure d'orange, un mégot de cigarette, une bouteille vide, un vieux journal ; un mec ça se jette dés qu'on l'a consommé ! Car le principe c'est le principal ! Et qu'est-ce que le principal ? De connaître le principe !

Le principe c'est de se faire tous les mecs pour s'en défaire au plus vite !

Le principe c'est de toujours séduire pour le réduire, le principe c'est que dans toutes les pensées ça devienne un fait et c'est fait, il est refait au suivant !

Le principe c'est un fait bien établi, les mecs sont juste là pour qu'on les refasse.

Ce principe est le principal dans la vie? Même s'ils ne sont pas d'accord.

Ce principe faut pas le dire faut le faire. Et à ce niveau même un murmure de remords ne pourrait se glisser dans une conversation. De toute façon les conversations des mecs on se les jette.

Ou de la dératisation : nul retour en arrière possible ? faudrait pas inverser le prédicat !

             Evidemment ! se désolait Bill

Puisque : faut surtout pas faire grise mine c'est miner les principes et idéaux du Nouveau Monde. Le sourire individuel est signe du bon ordre social. L'optimisme est obligatoire, l'hypocrisie obligée, celle qu'on déverse sur mère nature, on fait l'écologie des gestes quotidiens, jamais de la tête. L'optimisme obligé ? Bon enfant, faut faire la fête, à la Terre, à la Vie, à tout le reste et jusqu'où et pourquoi ? Pour l'optimisme qui... tautologise sa moulinette à cerveaux ! Le bon ordre social est signe de sourire individuel ! Tous les symboles sont avalés et vidés de leur substance. Tout le monde est une vitrine, vêtements japonais, fromages français, clubs à la mode, rock ou tennis - y a qu'à ouvrir le tiroir. Rien ne sent plus fort que l'autre marchandise. Alors Doll vitrine de son féminisme est excusable ? s'échinait encore Bill.  

Bill rétréci à sa crise d'originalité, celle qui mène aux origines, en était réduit à traîner sur le campus ; lorsqu'il fut nez à nez avec son petit Billy (bâton de policier), gamin de sonex-quartier, qui se mit aussi à lui essuyer la vitrine.

- Le plus clair aux U.S.A. c'est le plus pur découragement, le stoppa Bill. Il faut se décerveler pour survivre. Rester singulier est singulièrement dangereux puisque ça vient de l'intérieur, du volcan instantané de l'infini d'où nous pensons. Il suffit de se concentrer sur son look, son image ; c'est à dire qu'on est fait pour être regardé, ausculté, inspecté, pour faire devanture pas pour s'exprimer. La concentration des chairs dans notre mégalo empêche de jaillir du plus profond, de se rendre à l'exultation de se rendre. Non faut rester en surface ! A force d'être devanture on s'est vitrifié plus qu'une explosion atomique ne l'aurait permis.

- Eh palman, pourquoi tu te tires pas de tout ça ? Qu'est-ce qui peut t'arriver ?

- C'est un système, on ne peut pas s'en tirer. Il urge pourtant de le comprendre pour l'imiter un minimum. Sinon...

- Sinon quoi ! Bill s'agace.

- Sinon disons que tu es mal vu, c'est à, dire comme tu te fous des images on ne peut bien te voir : donc tu es mal vu, c'est à dire comme tu te fous des images on ne peut pas bien te voir : donc tu es mal vu ! Mais comme tu n'es pas cadré "ajusté" dans le frôlement bien huilé de la juxtaposition des images que l'activité urbaine étale ; plus tu es mal vu moins on te voit ! Le premier signe de ton escapade est d'être mal vu. Dommage qu'en même temps ce soit mal aimé. Les deux se tiennent

- Je ne croyais pas que le cerveau soit si salissant qu'il lui faille un lavage.

- L'image c'est toujours la redondance.

- Mais qui a façonné la première image ?

- Le premier adolescent qui fut plus insolent. Et depuis que le monde est devenu une devanture, le marketing affectif veut que l'on soit jeune. Tout le monde se déguise, arnaque jeune. Se déguiser c'est arnaquer, un sting. Les vieilles se font une tête de jeune première et ces dernières posent pour les fantasmes des suivantes. Les films sont maternels, mais juste comme à l'école, la musique est clonique plus que cyclonique, il faut que nous soyons attardés nous, nous tous, mais par rapport à quoi ? Les U.S.A. (Bien moins pudiques que les slaves ou les japonais) filent leur coup de ripolin de puritanisme bidon. Car entuber ses gosses à ce point c'est du puritanisme bidon. Car entuber ses gosses à ce point c'est du pourritanisme ou je ne m'y connais.

- C'est bien balancé, dub ; mais comment retourner la situation ?

- La société a peur de son espace exponentiel. Elle se précipite sur le feed back : pour se nourrir d'elle-même. Toute pensée flèche est retournée (ou courbée selon le climat de déférence obligé) et renie l'espace de sa libération ou la libération de son espace. Pareil pour toute action.

- Tu veux dire que ni l'action ni la pensée ne passent vraiment sans être remoulées comme il faut ?

- C'est qu'au XX siècle on rejoint les grands mythes mais d'une façon quasi indicible. Chacun engoncé dans son être, son milieu, son pays, ne peut accéder à la tragédie.

- Eh palman, la tragédie c'est horrible.

- La tragédie n'est pas tragique au sens de la folie, mais permet de faire prendre feu aux grands problèmes qui sont toujours ceux dont tout le monde est inconscient. Le phénomène de l'inconscient qui nous ramène à nos origines sensuelles et irrémédiablement animales se retourne contre lui-même. La société ça a toujours été 1+1+1 et comment en sommes nous devenus inconscients, est-ce parce qu'elle serait tous les corps sauf eux mêmes ou tous les cerveaux sauf eux-mêmes ? La "société" ressemble plus à une extraction, une soustraction qu'une addition. Si la tragédie est "bonne" c'est qu'elle peut résoudre cela sans passage à l'acte, qu'elle ne peut montrer tous les mécanismes en leur ampleur pour qu'il soit possible de pratiquer physiquement et mentalement une catharsis sans douleur OU comment se débarrasser du Système à structure de plus en plus dissipative sans qu'il ne se débarrasse de nous ?  On peut aussi le faire dans une grande comédie mais  je crois que ça renforcerait plutôt la structure dissipative non ?

- Dur de suivre le fil, dub.

- C'est qu'on est arrivé au moment où la société de consommation a absolument besoin du Joker. Tout le monde serait dit programmé sauf un et comment vérifier ? C'est qu'elle a besoin du Joker mais toujours absent. La société a besoin de l'absence du joker, qui doit quand même exister, mais dont toute la Société rejette la présence. Puisque le joker serait celui que tout le monde peut mettre dans son jeu . Comme cette unité imprévue dans un tel système est impossible, il vaut mieux qu'il ne soit pas là pour faire des choix - le joker! Le symbole vital, la structure plus que nécessaire à la société à la société doit être absent : ils ont encore copié sur les grands mythes - une unité pour faire l'unité. On distille tout cela dans les medias et ça fait tenir le tout. Mais uniquement en fantasmagorie. Et puisque la société de consommation a "besoin" du joker - sûr que c'est une grande joke ! D'abord parce qu'elle persiste au niveau fantasmatique , autosuggestion, désir compulsif, rapport hystérique à la réalité, déni autiste de toute critique et donc refus de se remettre en question. Ensuite que pour y parvenir elle doive user de la position transcendantale du Joker tout en reniant sa présence possible. En parallèle exact avec ses médias d'ailleurs qui ont trahi leur nom de médiation "être au milieu", au milieu de tous les groupes pour parvenir au maximum d'accord possibles, par exemple, être médian en tout Système. AU LIEU de cela ils sont toujours unilatéraux, les médias !

- Si ça ne va que dans un sens y'a plus de sens non ?

- Somme toute, ils ne veulent plus, les médias, qu'être immédiats ! Rien ne doit demeurer longtemps au royaume des fantasmes. Et le Joker alors ? Leur tragédie serait que quelqu'un dise qu'il n'existe pas, pas concrètement. Voilà qui est fait ! Faudra réviser le Système s'il doit perdurer. La phrase la plus courte est toujours la meilleure !

- Dur dur man ! Mais avec tout ça peut-on vraiment parler ?

- Il faut reconnaître à la perfection tous les mécanismes du Système et surtout toutes les interactions pour pouvoir de nouveau réellement PARLER aux humains. Tout le monde doit pouvoir accéder à cette connaissance car plus il en sera parlé, plus claire encore elle deviendra, et plus elle pourra opérer sans douleur. Plus de gens le sauront moins le système pourra déshumaniser puisque ce sera déjà un autre système, celui là même qui évapore celui ci. Qui n'est uniquement que les idées qu'on s'en fait ! Sans toutes ces confuses idées que reste-t-il ? Ses mécanismes mis à nu par ses célibataires même ! C'est pourquoi il faut bien penser au système pour pouvoir VRAIMENT parler !

- C'est tragique.

- Justement qui peut dire la structure de la tragédie dont je viens de parler ? Qui sinon qui aime ! Et qui sait encore aimer ? Ainsi il me semble misérablement incroyable que jamais personne, dans aucun pays, n'ai utilisé une ou toutes les technologies modernes, tous les moyens de diffusion pour déclarer son amour à quelqu'un d'autre. C'est bien à cela que ça devait servir ? Et jamais aucune femme n'a tenté ou osé, nulle part ! C'est le point d'interrogation sombre qui ouvre tout le vide de l'aventure de ce siècle, non ?

- Tiens, pal man, en parlant d'amour, tout à fait par hasard, j'étais sur un plan worked at, et j'ai vu Doll emménager. Je peux te donner l'adresse.

- Tu ne seras pas parti d'ici sans me la donner, rayonna Bill. Sacré Bill, rajoutait il en lui rajustant une claque dans le dos, qu'il en prit une dans la tête. Avec une vélocité foudroyante venait de s'insinuer dans son cerveau que tout son discours n'avait fait qu'emprunter, avec beaucoup de doigté et de nuances sans doute, l'habillage irréel et la structure sèche d'autres discours dits radicaux. Donc l'inquiétante étrangeté a toujours été de fonctionner avec le même crescendo : les formules qui brusquement semble supplanter tout autre réel ; l'extrapolation qui paraît irréversible et contamine tous autres domaines de connaissance : la formulation devient unique activité des formules à emballage de médication ; donc la liste des conseils obligatoires puisqu'il faut : arrivés à ce point de raisonnement c'est ainsi qu'il nous faut raisonner, sinon nous sommes exclus, on nous laisse tomber ; le proférateur ne sait plus où se placer par rapport à son discours : tant il n'existe pas de lieu (tout a été fait pour !) pour prendre la réalité au filet et en étaler toute la prise qui aiderait à l'édification de tous ; dire exige de se transformer à l'instant en réalisation visible, en résultat effectif de ce que l'on est en train de dire ceci ou cela, nul ne peut critiquer le système dans lequel il vit sans en créer, magiquement et à la seconde, un autre, dans lequel évidemment tout un chacun vivrait déjà - cet achoppement, à lui seul, permet à tout discours radical de rentrer dans la réalité comme dans du beurre sans lui faire apparemment le moindre effet : uniquement parce que le proférateur radical ne pose pas je n'ai aucun droit de dire ceci plutôt que cela mais je l'ose, faites donc comme moi ! Bill n'était plus submergé que de l'aspect compulsif de toute parole radicale, de sa structure je-te-rentre-dedans qui, certainement, va jusqu'au bout de ses possibilités, mais ne conserve que cette obligation jusqu'auboutiste. A la limite, on peut introduire n'importe quel discours dans cette suite de mécanismes obligés : qu'importe la coupe pourvu qu'on ait l'ivresse ! Le sable de ses paroles avait juste oublié la marée montante.

Bill s'engouffra lestement dans la maison de poupée de Doll, entrevoyant vaguement le jacuzzi et autres, pour arrêter son regard sur une fenêtre vasistas bizarrement pratiquée dans un angle. Il l'ouvrit, un miroir incorporé fit jaillir une multiplication de ciel à n'en plus finir. Intégré avec deux autres placés dans le cabin, lors de son ouverture, il créait ces cieux multiples, apaisants plus que tous vertiges ? La maison de Doll semblait regorger de ces bonnes conceptions, et, étalés sur la planche à dessin, des plans de villes, de quartiers de rêve, Doll justement surgissait de son jardin, et, avant qu'elle ne puisse se récrier, d'un doigt admiratif Bill lui montrait la fenêtre-vasistas ; ce qui glissa sur le visage de Doll une esquisse de satisfaction.

- Et ça c'est quoi ? La forme d'une ville conditionne le comportement de ses habitants ?

- Oh c'est pour mes petits jobs.

- Et ça ? lui glissa-t-il un plan sous le nez.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                       

 

 

 - Pour que de n'importe quelle pièce on puisse avoir un oeil sur les enfants jouant dans le collectif.

- Et celui là ? lui souriait Bill.

- C'est pour garder son intimité, la collectivité est conservée au centre des maisons même si on lui tourne le dos.

- Bref c'est le contraire de l'inversement.

- Il ne faut voir que les aspects pratiques de la vie quotidienne, lui sécha Doll , et pas faire de discours là dessus.

- Ca symbolise exactement l'amour que j'ai pour toi ! T'as toujours les deux moitiés et tu utilises toujours une pour annihiler l'autre tant en parole qu'en action.

Comme elle lui devait sans doute les trois-quart de cette maison, Doll ne répliqua pas.

- Mais maintenant, moi aussi j'ai le "savoir-faire", et je vais te le faire savoir, se déplaçait agréablement Bill. When you're with me Doll I have more bills !

- What ?

- Bills of little Dolls that're used to be called dollars ! Doll you are Dollars.

- A quoi ça m'avance ? riait-elle quand même.

- Il faut que je te parle de toute la société pour que tu comprennes à quel point tu as besoin de mon amour Doll. Doll est le nom générique de la monnaie mais sans Bill elle ne peut se monayer. Doll, a, objectivement, plus besoin de Bill que lui d'elle. Sans billet le dollar ne peut exister ! Sans dollar le billet peut quand même exister ! Sans dollar le billet peut quand même exister, sous une autre appellation. Bill est l'unique bill, billet unique de tant de dollars, et son individualité monétaire le rend libre, saisissable par n'importe qui, destructible comme tout humain. Mais sans Bill, Doll ne peut exister concrètement, être palpée : c'est Bill qui lui donne la vie ! Tandis que Doll qui est le tout ne peut être un bon partie. Elle ne peut que débiter les mecs sur sa planche à séduire, les débiter sans arrêts, battre leur unité pour se faire nommer et les foutre perpétuellement en liasses, inlassables liasses. Vie de séduction irréversible qui conduit au pire : ne plus être sexually marketable ! Vamp vampire, Doll aura pourtant besoin de chaque individualité pour s'en nourrir. Découvrant le jeu et n'ayant pas, eux, vitalement besoin d'elle, Doll sera perdue. Voilà ce qui arrive à Doll sans son vital Bill. L'homme qui lui restera attaché. Et saura multiplier tous les chiffres qu'elle a en elle. Tu peux choisir soit une inflation et déflation, dévaluation et austérité, au bout Doll ne vaudra plus rien ! Le dollar doit être gardé par ses billets ! Comme Doll doit être gardée par son Bill qui saura se monnayer tous les jours et maintenir sa Doll a sa valeur maximum. Tu vois que mon amour est décrit par l'entière société et qu'en t'aimant je sais ce que je fais.

Doll vacillait : avait-il trouvé le langage de son coeur. C'est que Bill avait bien effleuré l'amour capitaliste qui, comme le nom le trace sérieusement, a ses capitales où tout est plus capital - dont les femmes aspirantes, dévorantes, totalisatrices, monopolisatrices, concentratrices, en serait l'exact reflet taillé au silex ? Ou un jeu pour adulte où le dollar serait a little doll, une petite poupée, un bébé en plastique ? Ou la pépé pulpeuse, la doll si désirée ? Ou bien la simulation stérile du jeu : encore plus de femmes à jouer à la poupée, à la Doll qui inventa donc le dollar ?

Doll est la valeur, elle est donc supérieure à Bill, ça ne fait pas un doute, réinséra-t-il. Mais que peut-elle faire de sa valeur : avaler sa valeur ou se faire voler sa valeur. Qui saura, qui sait d'ailleurs, évaluer Doll, qui saura lui conserver toute sa valeur ? Doll est la valeur. La qualité en quotité. Mais Bill c'est la quantité et qu'est la qualité sans la quantité ? Alors qui saura toujours la mettre en valeur, faire parler sa qualité ? Qui saura protéger son unique qualité ? Doll a besoin de Bill pour apparaître, pour être, être connue de tous. Mais Bill a besoin de sa Doll chérie. Alors que lui faut-il de plus qu'un homme définitivement attaché : car Doll ayant besoin "du" Bill pour faire connaître toute sa valeur, il faudra toujours le recommencer jusqu'à l'épuisement et ce sera de plus en plus difficile ! Tandis qu'avec SON Bill, Doll peut être tranquille, rassurée ? Avec Bill pour Doll tout lui sera ajouté et rien ne lui sera retranché ! Sinon la monnaie ne pourrait plus exister ! Tu vois que nous avons vraiment besoin l'un de l'autre, c'est dans les mots, dans la société, partout et ailleurs, même dans l'amour car si Bill n'arrête pas de déclarer sa flamme il va se brûler et il n'y aura plus de billet pour Doll !

- J'admets que je suis ébranlée, très troublée même. Mais je préférerais que TU me laissas seule maintenant. Que tu me laisses tranquille un peu. C'est moi qui te ferai signe, qui te donnerai ma réponse.

Bill l'embrasse tendrement et resplendissant :

- Tu vois bien que depuis que j'ai tout perdu pour toi j'ai trouvé beaucoup plus. Tous les deux nous sommes comme les lois du marché. Nous avons résolu l'accord, l'entente, convention, pacte, complicité ou connivence qui composent le "marché". Je te ferai connaître toutes les lois du marché, je les utiliserais toutes que pour toi, que pour toi. Je n'ai plus fini de t'étonner, ma chérie Doll !

 

(à suivre)

 

 

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Publié dans littératures

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